Jeudi 24 Juillet, Chennai/Madras : Moments passés avec les orphelins de Jeeva Jyothi

Bonjour à tous,

Voilà, cela fait une semaine que je suis à Chennai auprès de Jeeva Jyothi et je pense avoir enfin integré le rythme indien ; tout y va infiniment doucement et planifier est une étape qu'ils éludent avec une immense facilité grace à leur si caracteristique hochement de tete. C'est un mouvement trés particulier entre le oui et le non, une sorte de rotation du haut du visage qui signifie un mélange de 'oui', 'je t'écoute', 'je comprends' et 'nous verrons'. J'en ai fait les frais dans plusieurs petits magasins ayant pignon sur rue et dans bon nombre d'autorickshaws car je prenais cela pour un non (et c'est encore mon reflexe premier !).
Mais revenons à cette journée qui illustre si parfaitement l'indolence de mes chers hotes. Deva devait m'emmener visiter d'autres zones de travail aujourd'hui et je n'appris que ce matin que nous ne nous y rendrions que dans l'apres-midi … Durant lequel j'appris que nous irions demain. Evidemment, j'étais en colere, car je me sens tout à fait inutile (je ne peux pas travailler la journée car les ordinateurs sont tous occupés), mais j'apprends que c'est ainsi et j'en prends mon parti.
Je crois que le problème vient du fait que contrairement aux filles l'année derniere, ils ne pensent pas que je puisse jouer un peu avec les enfants. Je suis donc une visiteuse à caser dans un emploi du temps plus qu'une aide à proprement parler. J'ai parlé de cela au directeur, lui expliquant que si je ne pouvais etre auprès des enfants, j'aimerais au moins leur etre utile en travaillant sur leur rapport pour leur 10e anniversaire et que donc j'avais besoin des documents concernés. Et aussi que j'aimerais vraiment avoir un planning pour pouvoir prévoir quelles petites choses de mon coté. J'eus droit à notre cher hochement de tete qui ne me laisse plus guère d'espoir. Attention, ne nous méprenons pas, cela n'est pas du tout lié à une quelconque mauvaise volonté de leur part. Tous les membres de JJ sont trés prévenants et attentifs. Je pense simplement qu'eux memes ont beaucoup de mal a définir pourquoi je suis ici, meme si je ne doute pas qu'ils soient heureux de ma présence. Je me promène donc un peu dans Chennai mais deux heures de marche consécutives sont réellement un maximum en raison de la pollution et du trafic anarchique qui fait de toute promenade une épopée un peu dangereuse.

Je passe aussi du temps avec les enfants du foyer de JJ, entre l'ecole et leurs heures d'étude. Ils commencent timidement à pointer le nez dans ma chambre au dernier étage, à regarder ce que 'auntie' a amené dans ses bagages. Jolijn, l'etudiante néerlandaise qui vit ici depuis deux mois, leur a offert un memory et un puzzle aujourd'hui alors nous avons beaucoup joué. Et il faut avouer que cela implique une bonne dose de discipline car les enfants ont du mal à respecter les règles, n'ayant pas été habitués à vivre en collectivité ou tout simplement à jouer avec d'autres enfants dès leur plus jeune age : attendre son tour, ne pas tout faire à la fois, respecter le materiel, ne pas frapper son voisin quand il gagne… Autant de règles de la vie quotidienne que les travailleurs de JJ font passer par ces jeux.
Ce fut un très bon moment, les tout petits surtout étaient trés contents. C'est beaucoup plus difficile avec les grands de faire ce genre de cadeaux car meme s'ils sont eux aussi contents que l'on s'intéresse a eux, et qu'on leur offre les moyens de s'épanouir durant leur temps libre, ils ont confusément conscience de ce que ces présents peuvent avoir d'indécent. Voir arriver des filles n'ayant que 5 ou 6 de plus qu'eux et devoir les remercier pour des cadeaux aussi simples qu'un paquet de gateaux qu'elles ont pu leur offrir car elles viennent d'ailleurs, cela est sans doute dégradant, meme s'il est certain qu'aucun d'entre eux ne pense en ces termes.
Trois des plus jeunes enfants du foyer sont trés attendrissants dans leur desir de nous montrer avec quelle application ils jouent et font des efforts, et il est triste de voir combien ils auraient besoin d'une maman auprès d'eux pour combler cette affection vers laquelle ils tendent. Je pense que JJ a pris conscience de ce manque car l'épouse du directeur passe un peu de temps chaque jour avec les enfants, mais elle reste une figure d'autorité pour le petit groupe.

Pendant nos jeux, j'ai également remarqué que l'un des 'grands' restait à part et lisait un fascicule en anglais. Il n'a tout d'abord pas voulu me le montrer, puis il m'a devoilé que c'était une brochure sur l'enseignement superieur. J'ai compris sa gene et sa colère lorsque j'ai vu le montant des droits d'inscription. On a beau se préparer a voir des choses trés tristes et douloureuses lorsque l'on vient en Inde, voir cet adolescent convoiter avec envie la possibilité de poursuivre ses etudes a été trés difficile. Bien plus que de voir les habitants des taudis de paille et de bois qui jonchent les trottoirs au milieu des monceaux d'ordures habités d'énormes rats et corbeaux. Sans doute parce que cette tristesse était plus palpable, cette révolte de me voir triste pour lui de facon si indécente alors que je n'avais que 20 ans et que je voyageais deja si loin de chez moi.

Deva et moi avons evoqué le futur de ces enfants et il a reconnu que tous devraient suivre des apprentissages manuels car JJ était dans l'impossibilité de leur payer des études d'autant plus aléatoires qu'aucun debouché n'existait sur le marche du travail. Lorsque je lui ai parlé d'un système de parrainage, il m'a repondu que ce projet devrait aller en priorité aux quatre enfants de JJ dont les parents avaient totalement disparu après que leur enfant ait été accueilli ici. Je vais donc prendre des photos individuelles des enfants pour que nous initions le projet en rentrant, soit par l'intermediaire de Keo, soit dans le cadre de mon projet collectif avec Sciences Po.

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