Je voudrais vous
faire partager quelques anecdotes que j'ai vécues ici ces dernières semaines.
Dans le bus
J'aime bien prendre le bus en Inde, on y apprend beaucoup sur le mode
de vie indien. Pour aller dans un village près de Badami, j'ai pris un
petit bus de campagne (une quinzaine de sièges). Au départ du bus, comme
dans tous les bus indiens, les hommes se mettent d'un côté, les femmes
de l'autre. Dans le mini bus, une banquette est réservée aux hommes sur
laquelle je prends place. Mais, on est lundi, jour de marché à Badami
et, peu à peu, le bus se remplit de femme qui vont faire le plein de légumes
frais. On est de plus en plus serrés mais la séparation est toujours respectée,
tant bien que mal. Puis, une dizaine de femmes montent d'un coup dans
le bus, on se retrouve entassés comme des sardines. Et moi avec une femme
sur mes genoux. Ma voisine est aussi une femme ; à cause des cris prolongés
de son bébé, elle est obligée de se dévêtir pour lui donner le sein. Oubliée
la séparation hommes / femmes.
Un autre bus me ramène à Mysore. Je m'assieds juste derrière un brahmane
(caste la plus haute) facilement reconnaissable par son chignon, ses peintures
sur le front, son attitude hautaine aussi. Le bus s'arrête de village
en village et se remplit peu à peu. C'est finalement un paysan, d'apparence
très modeste, qui s'assied à côté du brahmane. Même si on ne parle pas
kannada, on peut comprendre que le brahmane n'apprécie pas et il demande
au paysan de garder ses distances, en gros, de ne pas le toucher. Mais
le trajet est long, la chaleur lourde. La fatigue se fait sentir. Le brahmane
s'endort et sa tête tombe… sur l'épaule du paysan.
Même les traditions millénaires de l'Inde ont des limites.
Le trajet de la
ferme d'Enedsa jusqu'à l'école
La ferme d'Enedsa est isolée, en pleine campagne. Pour rejoindre l'école,
il faut emprunter un petit chemin qui longe la voie ferrée. Lorsqu'un
train passe à côté, il faut faire coucou au train car les passagers me
crient " hi " et me font signe de la main lorsqu'ils passent devant moi.
Ils sont des dizaines à agiter leur main, assis, les pieds dehors (les
trains indiens n'ont pas de porte).
Puis, il faut faire coucou aux gens qui habitent le long de la petite
route. Les gens sortent parfois dehors rien que pour me voir passer. Il
y a d'abord les gens qui vivent dans de petites huttes en paille, une
vingtaine de familles qui travaillent sur la construction d'une route
avoisinante. Ce sont des nomades qui vagabondent de chantiers en chantiers.
Les enfants ne vont jamais à l'école, ils sont tous crasseux, même les
plus petits qui ne savent pas encore marcher portent déjà des rastas.
A la ferme, on appelle ces enfants les petits Mooglis en référence au
livre de la jungle. Eux ne connaissent qu'un mot en anglais " bye ". Ils
le disent aussi bien le matin que le soir lors de mon passage en secouant
leur petite main et en me souriant. Leurs dents sont étonnamment blanches
et ils ont un sourire magnifique. On m'a expliqué qu'ils se lavent les
dents avec du charbon qui, paraît-il, est excellent pour les gencives.
Ensuite, il y a le quartier des intouchables. Le gouvernement leur a construit
des maisons si bien qu'ils sont maintenant regroupés dans un petit village
que je dois traverser. Là aussi les " hi ", " hello ", " what is your
name ? " fusent de tous les côtés. Aussi bien les enfants que les adultes.
Certains se font un malin plaisir de me serrer la main, ils savent bien
que, pour nous occidentaux, il n'existe pas d'intouchables. Un jour, en
passant dans ce village, un orage s'est abattu sur nos têtes. Une famille
m'a alors invité dans sa maison et m'a offert le café. Bien vite, ils
ont rameuté les voisins et ils se sont retrouvés une quinzaine, tout sourire,
à me regarder prendre un café. Je suis le seul assis dans la pièce et
comme on ne parle pas la même langue, je me sens un peu gêné. Heureusement,
j'ai quelques tours de passe-passe, de petits jeux avec les enfants et
tout le monde passe un bon moment en oubliant que l'orage est maintenant
terminé.
Puis, on arrive à l'école après 30 minutes de marche, de joies et de rencontres.
Et ce n'est pas fini car il y a la cour d'école à traverser. L'afflux
de " what's your name " atteint son apogée. Ca fait maintenant 1 mois
que je suis à Enedsa mais les enfants me demandent encore mon nom pour
le plaisir d'échanger quelques mots avec moi. · A l'école Il y a plein
de petits plaisirs que je ne peux avoir qu'à l'école :
- Discuter avec les professeurs femmes ; Pour un homme, et, qui plus est,
pour un occidental, le contact avec les femmes indiennes n'est pas toujours
facile. Le plus souvent, elles m'ignorent. Certaines sont capables de
dire bonjour à toute une assemblée avec de grandes embrassades et de passer
devant moi sans un regard. De plus, les femmes ont rarement eu la chance
d'avoir une bonne éducation si bien que très peu savent parler anglais.
A l'école d'Enedsa, c'est différent. Les professeurs savent qui je suis,
pourquoi je suis là et elles connaissent l'anglais. Cette semaine, il
m'est arrivé un drôle de truc avec une prof, Sicili. J'ai parlé longuement
avec elle car elle était curieuse sur ma vie en France. Je lui ai raconté
que je suis étudiant, pas très riche, que l'Etat et mon école m'aidaient
pour mes études et mes voyages. Je lui ai parlé de ma famille, de mon
père qui travaille à l'équipement, un service qui construit les routes.
Je n'ai pas pensé qu'en Inde, les gens qui construisent les routes, ce
sont les familles de " Mooglis " (voir plus haut), des nomades qui trimbalent
leurs huttes de chantier en chantier. Le lendemain, Sicili est allée voir
Mary, en pleurs, pour lui demander d'organiser une réunion avec tous les
professeurs pour faire quelque chose pour m'aider. Mary lui a expliqué
que je n'étais pas si pauvre que ça. C'était très touchant !
- Jouer avec les petits de l'école maternelle
L'année dernière, une annexe à l'école a été construite avec l'argent
de Kéo pour accueillir 80 enfants de 3 à 5 ans dans l'école maternelle.
Ils sont si petits, si mignons que j'en suis tombé amoureux. Je n'arrive
plus à les quitter. Avec deux autres francaises (Marie et Julie de passage
à Enedsa), on a fait de petites activités avec eux. Des chansonnettes,
des jeux et une activité dessin où les enfants devaient colorier une maison
prédessinée sur une grande feuille en papier. Certains n'avaient manifestement
jamais touché un crayon de couleur de leur vie. Ils ne savaient pas quoi
en faire. D'autres appuyaient si fort sur la mine qu'ils la cassaient
toutes les dix secondes. Les plus éveillés faisaient de jolis coloriages
et venaient nous les montrer toutes les deux minutes. On s'est rendu compte
à quel point il était important de travailler avec un petit effectif d'élèves.
A Enedsa, ils sont 80 enfants pour 3 profs. Certains sont très passifs,
plus lents, ils ne chantent pas les chansons de groupe. Plus grave, une
petite fille a colorié tout son dessin en noir, refusant d'y mettre de
la couleur. D'ailleurs, cette fillette ne sourit jamais. Ces enfants mériteraient
un peu plus d'attention mais ce n'est pas vraiment possible. Je me suis
attaché à deux petites filles. L'une s'appelle Chaithra, elle s'accroche
toujours à mes bras pour que je la porte. Je vais la parrainer car j'ai
appris que son père s'était suicidé (comment peut-on se suicider avec
une aussi jolie petite gamine ?) L'autre est si petite et frêle (la morphologie
d'un enfant d'1 an, 1 an et demi en France) qu'on ne peut avoir qu'envie
de la protéger. Surtout que les autres enfants ne se privent pas pour
la pousser ou lui mettre des claques ! Mais ils sont tous super beaux
et attachants.
- Jouer avec les équipes de kho-kho
A l'école d'Enedsa, il y a deux équipes de kho-kho, une pour les garcons,
l'autre pour les filles. Elles en disent long sur la façon de pratiquer
le sport en Inde. Les équipes de kho-kho sont constituées par le prof
de sport, Manju. Il réquisitionne d'office les meilleurs des classes de
6ème et 7ème standard (l'équivalent de la 6ème et 5ème en France). Les
enfants s'entraînent deux fois par jour avant l'école (8h-10h) et après
l'école (16-18h). Ils reçoivent parfois un petit dejeuner spécial pour
complèter leur alimentation. Cette trentaine d'enfants est donc particulièrement
choyée et ce sont eux qui représentent l'école aux compétitions sportives
inter-écoles. Ce sont eux aussi qui jouent la musique militaire tous les
matins lors de l'entrée en cours. On peut remarquer que les enfants s'entraînent
beaucoup mais seulement pour une épreuve, le kho-kho qui est un jeu de
course et de prise. "Seule la victoire est belle" pourrait bien être un
proverbe indien. Lors des compétitions inter-écoles, j'ai pu assister
à des scènes assez choquantes. Au kho-kho, lorsqu'un élève d'Enedsa s'était
fait prendre, il n'était pas rare de le voir regagner son équipe en pleurant
! En athlé, pour les épreuves de course, lorsque le vainqueur a franchi
la ligne, tous les autres participants s'arrêtent net ! L'important n'est
pas de participer en Inde. La compétition d'athlétisme était vraiment
drôle. Les épreuves se font sans grand matériel. 200 mètres, 400 mètres,
disque (bien souvent, les enfants n'en avaient jamais touché un avant
la compétition), saut en longueur et saut en hauteur. Mais l'épreuve qui,
à mon sens, a suscité le plus d'engouement est le relais. Peut être parce
que c'était la seule épreuve collective de la journée. Pour information,
les grands vainqueurs de la compétition masculine sont … les tibétains.
Ils sont arrivés à 4 des camps de réfugiés à l'ouest de Mysore et ils
ont raflé toutes les épreuves masculines. Du 100% ! Il faut dire qu'il
y a une nette différence de morphologie entre un enfant indien (petit
et maigre) et un tibétain. Les enfants m'ont fait remarquer que la Chine
occupe la 2ème place au nombre de médailles remportées aux JO d' Athènes.
L'Inde n'a, pour sa part, récolté qu'une médaille d'argent (au tir à la
carabine).
La grève en Inde
Le 26 août, il s'est passé un évènement rare en Inde, une grève générale
décrêtée par le parti hindou, le BJP.
Petite explication : le BJP est l'un des grands partis de l'Inde qui mène
une politique extrémiste inquiétante surtout qu'il a de l'influence sur
la population hindouiste (80% du pays). En résumé, le parti se réserve
le droit de dire que les gens, en bons hindous, doivent faire ceci ou
cela. Par exemple, que les hindous devraient aller brûler des maisons
dans le Tamil Nadu voisin (conflit politique Karnataka / Tamil Nadu au
sujet de l'utilisation d'une rivière). Ce parti peut donc être à l'origine
d'actes de violences ou de véritbles émeutes dans ce pays réputé pour
sa tolérance et sa non-violence. C'est ce qui s'est passé il y a 10 ans
lorsqu'un chef politique du BJP a provoqué une vague de violence anti-musulmans.
Aujourd'hui, le BJP n'est plus au pouvoir et ce chef politique vient d'être
mis en prison d'où le mouvement de grève du 26.08. Le BJP a appelé à ce
que tout bon hindou cesse le travail en guise de protestation. A Mysore,
il n'y avait ni bus, ni magasin ouvert, ni école (même Enedsa était fermée)…
Pourquoi les gens suivent les exigences du parti ? Ce n'est pas par solidarité
pour un homme politique véreux mais parce qu'ils ont peur. La plupart
d'entre eux restent à la maison par crainte des échauffourées.
L'Inde est considérée comme la plus grande démocratie du monde. Mais le
système d'ici a de nombreux effets pervers. Les dirigeants politiques
amassent une fortune qu'ils dépensent lors de leurs campagnes politiques
en distribuant alcool aux hommes et saris aux femmes en échange de promesses
de voies. Même Enedsa est pris dans ce jeu : Mary et Satish donnent des
consignes de vote aux habitants de leurs quartiers. En échange, ils obtiennent
tous les permis nécessaires au bon fonctionnement de l'école et de l'association.
Une bénédiction au vu du système administratif de l'Inde.
Sylvain
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