J'ai commencé mes
visites des écoles et des quartiers pris en charge par Jeeva Jyothi.
· Les Reds Hills
: crèche et écoles
Nous avons commencé
les visites par les Red Hills et ses alentours. Ce quartier est très touché
par le travail des enfants (usines de riz et de briques).
Je suis accompagné par le nouveau coordinateur de l'association (il est
en place depuis 3 mois), Selvaraj, qui est très sympa et parle bien anglais.
Selvaraj m'a annoncé qu'ils avaient obtenu récemment des avancées considérables
avec les propriétaires d'usines de briques dans le domaine du travail
des enfants. Ils ont créé un comité qui réunit des représentants de Jeeva
Jyothi, des propriétaires d'usines, du gouvernement et des instituteurs.
Cet organisme a pu faire pression sur les propriétaires pour qu'ils ouvrent
des écoles non formelles au sein même des usines. L'usine fournit le local
et paie les professeurs. Une des usines a rassemblé en quelques semaines
50 enfants qui ont donc arrêté de travailler avec leurs parents dans les
usines.
JJ a l'ambition de former ce même type de comité avec les propriétaires
d'usines de riz. Ca semble plus difficile mais possible.
Revenons à mes visites,
le premier jour, je suis allé dans un petit hameau, Kattu Nayakkan Nagar
où JJ a installé une crèche. Pas de chance, nous sommes arrivés trop tard
et elle était fermée. On a quand même pu discuter avec les villageois
qui nous ont expliqué leurs conditions de vie.
Ce sont des gens qui ont migré il y a plusieurs dizaines d'années à cause
de la sécheresse qui sévissait dans le Sud de l'Inde. Aujourd'hui, ils
ne manquent plus d'eau, c'est la seule raison qui les pousse à rester
ici car ils ne trouvent pas de travail. Ils vivent seulement de quelques
activités dont on peut faire rapidement la liste :
- travail temporaire dans une usine de fabrication de parapluies,
- récolte de cheveux (les hindous donnent parfois leur chevelure comme
offrande aux dieux) pour fabriquer des rajouts de cheveux. Il paraît que
c'est très utilisé par les jeunes indiennes pour avoir une natte plus
longue,
- récolte de plastiques dans les poubelles de Chennai pour la revente.
Ces gens vivent dans un milieu rural, ils ont également quelques bêtes,
surtout des cochons. Je suis étonné par le nombre de petits cochons alors
qu'il n'y a pas d'adultes. Ils n'ont pas le temps de grossir qu'ils sont
déjà mangés !
Ce sont des gens très pauvres, il y a une ribambelle de petits qui courent
tout nus entre les maisons. Un des gamins est couché sur les jambes de
sa mère qui lui cherche les poux.
Ensuite vient le temps des interrogations. Je vous rapporte leurs questions
:
1/ " Pourquoi y a-t-il des gens comme nous et d'autres qui ne manquent
de rien ? ",
2/ " Pourquoi tu as la peau blanche ? ". Je trouve certaines questions
spontanées assez rigolotes.
Puis, nous avons visité
V.P Sing Nagar, un des quartiers où une jeune employée de JJ travaille.
Elle a fait le tour de ce quartier pour pousser les enfants à aller l'école.
15 des enfants sur 20 qui avaient arrêté l'école l'ont écoutée.
Aujourd'hui, cette fille donne tous les jours des cours du soir à une
trentaine d'enfants : 4 travaillent (usines de riz), la plupart sont scolarisés
mais ils ont tous un niveau différent. Elle leur organise quelques activités
qu'ils peuvent faire en commun (chant, jeux) et surtout les divise par
groupes de niveaux pour les faire travailler plus sérieusement.
Mon arrivée dans l'école (un local de 15m² sans chaises ni tables) provoque
une horde de cris et de rires. Les enfants se réfugient le long des murs
mais la maitresse les rassure et leur dit de venir devant moi un par un
pour me serrer la main et se présenter. Les enfants viennent donc, certains
baissent les yeux, d'autres au contraire me regardent fixement avec de
grandes yeux. Les enfants me disent leur nom, leur niveau d'études, une
petite fille ne peut terminer sa phrase tellement elle rigole de m'avoir
serré la main. Tous les enfants ont un visage souriant et un peu le trac
de devoir se présenter devant moi.
Finalement, tout se passe bien et je leur demande pourquoi ils ont tant
eu peur de moi. Une petite fille dit qu'elle n'a pas eu peur car elle
voit bien que je suis une bonne personne. Très flatteur !
Certains viennent ensuite me réciter un poème ou une chanson (parfois
en anglais). Ils s'en tirent plutôt bien.
Puis, on prend quelques photos et une nouvelle vague de cris et de rires
intervient lorsqu'ils découvrent la photo sur l'écran de mon appareil
numérique. Je n'oublierai pas non plus leur cri final, poussé tous ensemble,
sur le ton très aigü que peut prendre la voix d'un enfant : Thank you
!
Enfin, leur petite mimine s'agite pour me dire au revoir. C'était un moment
très simple, très tendre, avec beaucoup de joie même si, évidemment, la
situation de ces momes est difficile.
Ils m'ont donné envie de travailler sur un livre racontant la situation
de l'école en Inde.
D'ailleurs, je me suis penché de plus près sur les articles rédigés par
les filles qui m'ont précédé. Ils portent pratiquement tous sur l'éducation.
Ce livre pourrait servir de support aux instituteurs de chez nous pour
montrer les conditions de scolarisation des enfants plus pauvres.
Le deuxième jour,
toujours aux Reds Hills, j'ai fait plus ample connaissance avec toute
l'équipe de JJ qui travaille dans le " branch office " des Red Hills.
Puis l'après-midi, on a visité une crèche. Une trentaine d'enfants, un
peu endormis, (15h, c'est normalement le début de la sieste) viennent
ici tous les jours dès 9h. Pendant que leurs parents travaillent dans
les usines de riz, eux, apprennent des chansons ou l'alphabet. JJ leur
procure également un repas par jour et des vêtements collectés dans le
quartier. La maitresse essaye de les motiver pour qu'ils chantent une
chanson mais rien à faire. Ils me regardent tous avec de grands yeux dont
les paupières se ferment tout doucement. Allez, je vous laisse dormir,
bon dodo les petits.
· Reds Hills :
les usines
Depuis le local de
la crèche, on avait une vue sur une usine de riz. Les grains de riz étaient
en train de sécher dans une cour.
Un homme et son enfant (12-13 ans) les ramassaient pour les mettre dans
des gros sacs.
C'est justement l'une de ces usines que je visite le lendemain.
On a pris comme prétexte la visite des deux écoles non formelles pour
pouvoir entrer à l'intérieur des usines. Les propriétaires des usines
nous accueille sans trop de problèmes, juste en nous demandant ce que
l'on vient faire ici. Selvaraj m'a expliqué comment fonctionne l'usine.
Même s'il y a plein de termes techniques (en tamil), j'ai à peu près compris
que la plante de riz (ça ressemble à du blé) étaient lavée, grillée, séchée
et mise en sac. Le processus semble très long pour former un tas de riz.
Or, les ouvriers sont payés au rendement, 7 roupies (0,14 euros) par sac
de riz. Une misère.
Mais la situation catastrophique de ces usines, je l'ai surtout comprise
le lendemain de ma visite, lorsque j'ai visionné un film réalisé par l'association
sur ces fameuses usines de riz. Il y a des images bouleversantes dans
ce film et lorsque j'ai fait la relation avec ce que j'avais vu la veille,
j'ai pris conscience du cauchemar dans lequel vivaient les ouvriers de
ces usines.
A l'intérieur des usines ou dans un terrain vague des alentours, Jeeva
Jyothi organise des cours du soir. La plupart de ces enfants sont maintenant
scolarisés, il ne reste qu'une poignée de " working children " et pour
eux aussi, l'espoir d'une rescolarisation demeure.
J'ai l'impression que, par rapport aux récits des filles, l'année dernière,
il y a aujourd'hui beaucoup plus d'enfants scolarisés.
Les cours du soir se passent dans la bonne humeur. On n'a passé que quelques
minutes avec les enfants mais, chaque fois, il se produit le même scénario
: ils me sourient timidement puis lorsque je tends la main au premier
des enfants que je vois, ils se précipitent tous sur moi pour me toucher.
Entre bousculades et rires, il est ensuite bien difficile de quitter les
enfants.
· L'usine de papier
de Jeeva Jyothi
Je suis allé avec
Deva voir l'usine de papier de l'association. Malheureusement, il n'y
avait pas de commande si bien que la production était arrêtée.
3 des 15 ouvriers de l'usine étaient présents (pour la maintenance), le
reste était au chomage technique.
On a discuté avec Deva et le directeur Susai Raj de la situation de la
fabrique. Elle semble plus catastrophique que jamais. L'année dernière,
il avait eu des commandes individuelles (à hauteur de 100000 roupies)
qu'ils n'ont plus cette année. J'ai vaguement compris qu'il se donnait
3 mois avant de fermer l'usine.
Concernant le commerce équitable, Jeeva Jyothi m'a demandé de travailler
là dessus. J'ai donc passé 2 jours à faire des recherches sur internet
pour trouver des partenaires de commerce équitable (des importateurs),
j'ai trouvé une dizaine d'adresses auxquelles on peut écrire. J'ai appris
bien après que KEO avait déjà effectué ce genre de démarches et avait
trouvé un partenaire potentiel, commerceequitable.com. Jeeva Jyothi ne
m'a pas parlé de ce travail ! Je pense que l'on va réécrire aux importateurs
francais (sans grand espoir) et je vais essayer de les motiver pour qu'ils
écrivent eux-memes, en anglais, à d'autres importateurs européens.
De toute facon, vu la situation de la fabrique, on peut toujours essayer.
· Les écoles publiques
En vue de réaliser
le livre sur l'école en Inde, j'ai demandé à Deva de visiter quelques
écoles publiques.
On en a visité 3 : deux écoles primaires et un collège.
Les écoles primaires fonctionnaient avec les moyens du bord : pas de chaises
ni de tables, des classes dans le couloir… Mais, j'ai été surpris par
le dynamisme des professeurs. Par exemple, ils fabriquent eux-mêmes le
matériel scolaire pour pouvoir enseigner à un groupe de 50 enfants.
Le collège que j'ai visité était mieux pourvu : tables et banc, 30 élèves
en moyenne par classe.
La différence se joue aussi sur les programmes : le collège dispose d'un
prof de sport (1h30 par semaine). Ca ressemble plus à ce qu'on connaît.
· Les women's
club
J'ai pu rencontrer
un club de femmes institué par Jeeva Jyothi. Une vingtaine de femmes fréquente
ce club. L'idée est d'épargner toutes ensemble quelques roupies pour faire
un projet en commun. Chaque femme a apporté environ 2000 Rs (soit 40 euros)
depuis la création du club en 1999. Avec cet argent, elles achètent en
commun des fleurs ou du poisson qu'elles revendent aux habitants du quartier.
Pas de chance pour moi, lorsque je les ai rencontrées, elles venaient
de vendre du poisson, ce qui explique qu'il y avait plusieurs centaines
de mouches au m2. En tous cas, la discussion était très sympa.
Elles essayent toutes d'apporter 10 roupies par semaine (20 centimes d'euros),
ce n'est pas toujours facile surtout pour les femmes dont les maris ne
les soutiennent pas pour ce genre d'opération.
- Autres activités
Enfin, je passe aussi
pas mal de temps sur l'ordinateur, je squatte le bureau de l'association.
Pour mettre les choses au clair sur mes activités, je suis en train de
travailler sur plusieurs projets :
- Le parrainage : je récolte des photos
des enfants des foyers et je dois réactualiser le fichier des enfants
(3 nouveaux cette année)
- Le livre sur l'école en Inde : j'utilise les articles écrits par les
volontaires de KEO les années précédentes. Je les classe par thème et
je rajoute moi-même quelques articles lorsqu'il y a des manques.
- Le commerce équitable : je rédige un dossier qui présente Jeeva Jyothi,
l'usine de papier et les produits. On va recontacter les importateurs
de commerce équitable.
- Le tourisme équitable : je visite les structures de Jeeva Jyothi et
les lieux touristiques de la région pour trouver des activités de tourisme
équitable. L'idée est de rencontrer un club de femmes ou une école plutôt
que de visiter les monuments de Chennai (qui sont moches d'ailleurs mais
certaines agences y consacrent 2 jours de visites). Le tourisme équitable
est mon projet initial, celui pour lequel je suis parti en Inde. Aujourd'hui,
je dois avouer qu'il a du plomb dans l'aile. Pour moi, le tourisme équitable
repose avant tout sur une relation de convivialité entre les touristes
et la population locale. Or, la différence de niveaux de vie est tellement
grande entre la France et l'Inde que le touriste est plutôt considéré
comme une manne financière. Pas facile alors de vivre un moment convivial.
Pour en finir avec
ce journal de bord, il me faut aussi parler des moments passés avec les
enfants du foyer de Jeeva Jyothi (où je vis actuellement). La communication
avec eux est assez difficile car ils ne parlent pas anglais mais on a
pu réaliser quelques activités bien sympathiques. Par exemple, je leur
ai fait une initiation au diabolo, ils ont l'air de bien aimer ce jeu.
Un des gamins a même essayé de s'en fabriquer un avec une pile usagée
!
Eux m'ont initié à leur sport favori, le cricket. C'est assez proche du
baseball, c'est pas mal.
Avec les plus petits, j'ai fait un peu de dessin. Bizarrement, ils connaissent
très bien les noms des animaux en anglais alors, quand je dessinais un
lapin, il y en avait toujours un pour dire " rabbit, I'm a rabbit ".
Ils sont vraiment très gentils, c'est même incroyable que des enfants
qui ont de grandes difficultés familiales comme eux, puissent être aussi
gentils. Le soir, ils font leur devoir dans un silence de mort, rien ne
peut les empêcher d'étudier. A 21h00, c'est l'heure de dormir mais les
plus sérieux poursuivent les études sur les marches des escaliers.
Samedi dernier (17 juillet), on est partis tous ensemble (staff de l'association
+ enfants du foyer) pour la sortie de l'année : le parc d'attraction de
Dizee World. On a fait quelques jeux mais la chaleur a vite pris le dessus
et on s'est tous retrouvés dans la piscine !
Déjà 3 semaines de
passées !
Sylvain
|