Vendredi 14 mars : Journal

 

La premiere journée, où j'ai reellement commencé mon projet, je devais rencontrer des petites filles qui travaillent dans les tâches domestiques. Deva, un travailleur social, et moi sommes partis à bicyclette vers les bidonvilles de Madras. Arrivés dans le premier quartier pauvre, Deva questionnait les habitants pour savoir où se trouvaient les jeunes filles. Ainsi, on marchait sur les routes de terres bordées de cabanes de pailles. Les enfants, à moitié habillées, jouaient dans la rue. Les femmes pompaient de l'eau qu'elles transportaient dans de grandes cruches multicolores. Les hommes tiraient des chariots de nourriture ou de materiaux quelquonques. Les grands-mères brodaient ou faisaient de la cuisine sur le bord de la rue. Les vaches et les chèvres se reposaient à l'ombre. Les petites filles que nous cherchions n'étaient pas dans le quartier alors, j'ai changé de programme. J'ai rencontré des petits garcons qui fabriquent des chaussures et/ou des sandales. J'en ai donc interview six.

Les deux premiers étaient deux frères de 15 et 11 ans. Ils travaillent avec leur parent de 13 a 15 heures par jour. Evidemment, ils ne vont pas à l'école mais, ils y sont déjà allé. Ils n'ont pu poursuivre leurs études faute d'argent. De toute facon, ils allaient à l'école à temps partiel car, ils manquaient souvent une journée de cours pour aider leurs parents. Compte tenu de ces circonstances, ils échouaient dans diverses matières scolaires et le professeur les battait alors ils se sont découragés. Après avoir interrogé les enfants, le père a pris la parole en se plaignant que les temps sont durs. C'est temps-ci, le père n'arrive à vendre une paire de chaussure que la moitié du prix habituel. De plus, avant les années 1980, il recevait, ainsi que ses compagnons de travail, une importante subvention du gouvernement. Malheureusement, le nouveau gouvernement ne partage pas leur caste et refuse de les aider.

(A la suite de ce mini interview, pour les remercier de leur collaboration, j'ai donné aux garcons un sac de bonbons. Ils ne semblaient pas trés contents et n'ont meme pas dit merci. Deva m'a expliqué que quand on donne quelque chose à un Indien, il faut le lui donner dans la main sinon, c'est une insulte.)

J'ai interrogé deux autres frères se trouvant, eux aussi, dans une situation aussi pénible. Il ya deux ans, la petite entreprise de leur père fonctionnait à merveille jusqu'au jour où le feu a ravagé leur maison. Ils ont ainsi perdu 4000 paires de sandales. Depuis ce jour, les deux frères n'ont pas eu le choix de mettre la main à la pâte. L'un d'entre eux est âgé de 15 ans et l'autre de 17. Malgre cette tragédie, les garcons vont à l'école. Leur père aspire à un avenir meilleur pour ses fils. Il fera donc l'impossible pour que ses enfants deviennent ingénieurs, comme ils le souhaitent.

Seenu a 12 ans, ses parents se sont separés quand il avait 8 ans. Depuis ce jour, il travaille avec son oncle à Madras. Sa mere demeure à la campagne avec sa soeur. Son grand frère de 15 ans est parti dans un village éloigné à la recherche d'un emploi. Seenu voit sa mere trés rarement. Il travaille peu et va à l'ecole. Son oncle aussi s'est plaint du racisme du nouveau gouvernement à l'egard de leur caste. Comme la majorité des familles qui fabriquent des souliers, la famille de Seenu appartient a la caste des sudra (serviteurs) qui est un cran plus haut que celle des intouchables.

J'aurais aimé filmer l'entretien que j'ai eu avec le petit Seenu. Malheureusement, j'ai rencontré ce dernier en fin de journée et lorsque quelques jours plus tard je suis revenue armée de ma camera, il n'était plus là, il était allé voir sa maman. J'ai donc filmé mon entretien avec Diarajen.

Diarajen vit avec ses trois grands frères. Sa mère est morte lorsqu'il avait un an et son père est décedé d'un arrêt cardiaque lorsqu'il eut atteint ses dix ans. Depuis ce jour, il est balotté entre les maisons des ses trois grands frères qui ont 27, 28 et 30 ans aujourd'hui. Diarajen a maintenant 16 ans. Il travaille avec ses frères de trois a neuf heures par jour, six jours par semaine. De plus, il va à l'ecole. Il est le deuxième membre de toute sa famille recevoir une éducation et l'année prochaine, il sera le plus éduqué de sa famille. Diarajen est le seul de sa classe à devoir travailler. Il ne jalouse pas la situation privilegiée de ses camarades de classe et même, se trouve chanceux d'étudier parmi eux puisque ses frères et ses cousins n'ont pas eu le même "privilège". En ce moment, son grand frère de 30 ans paie pour une partie de sa scolarité. Avec les 50 roupies par semaine qu'il gagne (1,25$ US), il s'achète des livres, des crayons et des vêtements. Diaragen aimerait travailler dans une banque ou devenir officier pour le gouvernement et gagner ainsi beaucoup d'argent. Diaragen dit avoir beaucoup de facilité en mathématiques et énormement de difficultés dans le travail manuel puisqu'il a la maladie du Parkinson. Ses frères feront tout leur possible pour lui assurer un avenir meilleur.

( J'ai été agréablement surprise de la collaboration de tous ces gens. Les parents ne démontraient aucune réticence à ce que leurs enfants dévoilent leur situation de pauvreté ainsi que leur conditions de travail. En quittant les lieux, je me disais que mon projet serait plus facile a réaliser que ce que j'aurais pu m'imaginer; je me trompais. )

Genevieve