LES ONG, IMPUISSANTES FACE AU GOUVERNEMENT ?

Il est difficile en Inde de démêler le vrai du faux quand on parle d'éducation et d'ONG… La langue de bois est de mise au sein des gouvernements ; et les discours virulents des ONG font froid dans le dos et laissent peu d'espoir quant à une issue favorable à l'education pour tous. Alors qu'en est-il réellement ?

Il faut d'abord savoir que les ONG et les gouvernements ne se situent pas dans la même perspective, que ce soit au niveau de l'éducation ou dans d'autres domaines relevant du social. L'Inde est un pays en voie de développement, endetté auprès des instances internationales qui surveillent de près tous les faits et gestes du gouvernement central ; en outre, malgré son surnom de "plus grande démocratie du monde" et malgré le fait qu'un homme de la caste des intouchables en soit le Président, le sous-continent reste un pays fortement inégalitaire et essentiellement tourné vers les élites intellectuelles et financières. Dans ce paysage, on comprend aisément que le social ait du mal à faire sa place…
Parallèlement, de nombreuses ONG ont emergé en Inde pour défendre les droits constitutionnels qui restent bafoués aujourd'hui : le droit à l'education pour tous et l'abolition des discriminations sociales. Jeeva Jyothi s'inscrit dans la droite ligne de ces organismes qui travaillent durement afin de contribuer à une société plus juste et plus égalitaire, prônant le respect de l'être humain et l'altruisme.

Le gouvernement s'est donc vu opposer une résistance passive face à ces objectifs de libéralisation et s'est vu rappeler à l'ordre par les ONG dans les domaines où l'Etat avait, semble-t-il, démissionné. S'il doit désormais compter avec ces nouvelles organisations, le gouvernement central est loin de se laisser marcher sur les pieds. Et plutôt que d'affronter ouvertement les positions défendues par ses adversaires non gouvernementales, il a préferé utiliser les ONG pour mettre en oeuvre ses projets.
En effet, les instances de Bretton Woods ont admis nécéssaire l'éducation de la population afin que le pays émerge du cercle infernal du sous-développement, et ont dès lors donné la possibilité au gouvernement indien de débloquer des budgets pour promouvoir l'éducation, c'est à dire 5,77% du budget général (contre 40% destiné à la défense…). Mais les ambitions de la Banque Mondiale et du FMI sont loin d'être de l'ordre du social ; l'éducation est nécessaire, à leurs yeux, dans la mesure où elle crée une main d'oeuvre permettant d'absorber les connaissances et capable d'utiliser les nouvelles techniques importées d'Occident. Or, pour former cette main d'oeuvre, il n'est pas nécéssaire de développer l'enseignement secondaire ou supérieur, il suffit essentiellement d'alphabétiser la population.
Le gouvernement indien a donc pris le parti d'alphabétiser ses masses, notamment par la création d'un système scolaire parallèle et organisé sur le modèle de l'éducation non formelle, pensant du même coup s'attirer les grâces des ONG concernées par ces problèmes. C'était sans compter la détermination de ces dernières qui ont vu dans ce projet un nouveau moyen pour le gouvernement de se défaire de sa mission première : permettre l'accès à l'éducation publique à l'ensemble des enfants.

Malheureusement, les ONG, si elles peuvent la plupart du temps exercer leurs activités sans aucun probleme, sont en revanche étroitement surveillées par le gouvernement central. Leurs moindres faits et gestes sont rapportés par les "Investigation People" du CBA (Central Bureau of Agency) qui viennent régulièrement farfouiller dans les documents et les comptes des ONG et qui réclament souvent au passage quelques roupies pour s'assurer leurs bonnes grâces. Le gouvernement central n'hésite donc pas à faire pression sur les ONG par le biais de ces "Investigation People", en les menaçant notamment de leur retirer leur licence.
Les ONG doivent en effet leur existence à une licence par laquelle elles s'engagent à suivre le "Public Charitable Trust" publié par le gouvernement et qui précise le cadre d'action des ONG. Si les organisations ne sont pas licenciées et reconnues par le gouvernement, elles ne peuvent recevoir de manière légale des financements étrangers qui sont bloqués par le FCRA (Foreign Contribution Relation Act) au niveau de la banque centrale.
Même si le gouvernement n'a recours à ces méthodes expéditives que trés rarement, il n'hésite pas en faire valoir la menace aux ONG qui s'autoriseraient la possibilité de sortir du cadre prédeterminé par l'administration ou feraient preuve d'un peu trop de zèle en matiere de lobbying.

De plus, certains financements venant de pays étrangers ont été refusés par le gouvernement indien ; ainsi, une quinzaine de pays proposaient il y a quelques années la somme de 150 milliards de roupies, soit environ 30 milliards d'euros, à titre d'aide, dont une partie devait être allouée aux ONG. Cependant le gouvernement a refusé cette aide financière, estimant ne pas être en besoin ; en effet, le pays accorde, au titre de la coopération bilatérale, 100 milliards de roupies à ses partenaires (Bangladesh, Irak…) et s'est donc senti offensé par la proposition des pays occidentaux. La perte financière pour les ONG a été énorme, même si certains des pays, comme la Suède, ont tout de même fait parvenir des fonds pour soutenir certaines d'entre elles.

Le cadre d'activité des ONG est donc déterminé par le gouvernement, ce qui ne les empêche pas de mener à bien une grande partie de leurs missions ; malgré tout, le sentiment de se sentir surveillées empêche bon nombre d'entre elles de prendre des initiatives, et freine le développement de nouvelles alternatives pour pallier les carences éducatives de l'Etat indien.

Emilie