ONG - GOUVERNEMENT : UN DIALOGUE DE SOURDS

Entre ce que disent les ONG et ce que dit le gouvernement, il y a un grand fossé séparant deux visions différentes de l'éducation.

Le gouvernement indien a lancé il y a quelques années une grande campagne d'alphabétisation dans l'ensemble du sous-continent, la "National Literacy Mission". Le but essentiel de cette campagne était de faire prendre conscience aux gens de la nécessité de savoir lire et écrire ; ce projet a été une véritable réussite dans la mesure où des milliers de gens, essentiellement issus des campagnes, ont dès lors été dans la mesure de s'initier à la lecture et l'écriture, les sortant ainsi petit à petit de leur ignorance.
Cette campagne a entre autre permis au gouvernement de se rendre compte du rôle que jouaient les ONG dans le secteur non formel ; c'est pourquoi il s'est progressivement engagé dans l'ouverture d'écoles suivant le modèle de l'éducation non formelle. En effet, la priorité du gouvernement à travers la NLM a été de prévoir l'ouverture d'écoles publiques dans les villages de plus de 300 âmes, dans la mesure où aucune autre école n'était implantée dans un rayon d'un kilomètre ; cette mesure a permis l'ouverture d'un certain nombre de nouveaux établissements scolaires. Pourtant, certaines régions isolées n'ont pu prétendre à la création d'écoles car elles ne remplissaient pas les conditions d'implantation, c'est à dire un minimum de 300 habitants.
Dans ces régions, le gouvernement a pris le parti d'implanter des centres d'éducation non formelle, en prenant exemple sur les expériences menées par les ONG. A titre d'exemple, "Open schools" et "moonlight schools" ont proliféré un peu partout dans l'Etat du Tamil Nadu ; les premières accueillent tous les dimanches les enfants qui ont du quitter l'école à cause de problèmes familiaux ou pour travailler et subvenir aux besoins de la famille. L'apprentissage y est gratuit, mais si l'élève souhaite passer les examens lui permettant de passer dans la classe supérieure, il devra payer quelques roupies. Les "moonlight schools", littéralement "écoles du clair de lune", sont ainsi appelées car ce sont des cours du soir où les enfants qui travaillent peuvent se rendre après leur dure journée de labeur ; la particularité de ces écoles est qu'elles ne dispensent que les cours de 10e, 11e et 12e standards.

Les ONG critiquent ces "écoles de transit" dans la mesure où l'éducation qui y est dispensée est loin d'être de qualité, dans la mesure où les enseignants qui y donnent les cours sont des volontaires non remunérés. Le gouvernement dément ces propos, et assure donner les budgets nécessaires aux districts ; le problème est que cet argent n'arrive jamais jusqu'aux enseignants, il est disséminé entre les différents intermédiaires avant même de pouvoir arriver entre les mains des instituteurs…
En outre, il peut paraitre surprenant que le gouvernement s'inscrive dans une logique non formelle alors que sa mission principale est de garantir l'accès à l'éducation publique et gratuite à l'ensemble des enfants de 6 à 14 ans. Pourquoi le gouvernement a-t-il donc choisi d'investir le budget de l'éducation dans la création d'un système scolaire parallèle et non formel, favorisant ainsi l'émergence d'une éducation à deux vitesses, au lieu de s'attacher à sa mission première, en y investissant les fonds nécéssaires pour accueillir l'ensemble des enfants ?
Selon les ONG, le gouvernement a préferé opter pour l'alphabétisation des masses, afin notamment de faire baisser les statistiques en matière d'illetrisme, réservant l'éducation de qualité aux élites indiennes. Mais selon M. Inbarraj, assistant-professeur et fonctionnaire au sein du département de l'éducation du Tamil Nadu, le gouvernement n'est pas en mesure de dispenser une éducation de qualité à l'ensemble de la population du sous-continent ; "C'est une utopie", déclare-t-il.

Le gouvernement a donc pris le parti de fournir aux enfants démunis le minimum pour survivre dans leur pays : lire et écrire… Les ONG crient au scandale et ne comprennent pas pourquoi le gouvernement n'a pas plutot opté pour un partenariat avec les ONG en matière d'éducation non formelle, alors que celles-ci étaient déjà bien implantées dans le paysage éducatif. Cela aurait effectivement permis à l'Etat de reprendre en main le système scolaire public et de le remanier afin d'intégrer progressivement les élèves du secteur non formel, pour qu'à terme l'éducation non formelle n'ait plus lieu d'être.
Le gouvernement affirme pourtant collaborer étroitement avec de nombreuses ONG, partenaires du projet EGS&AIE . Néanmoins selon les ONG non partenaires, les organisations qui bénéficient des subventions accordées dans le cadre de ce programme sont de véritables organisations fantômes ; en effet, une écrasante majorité d'entre elles ont été créees par des partis politiques ou des membres des gouvernements ou de l'administration dans le but de récupérer les fonds destinés à l'education non formelle pour leur propre compte.

Il existerait donc en Inde un véritable réseau d'ONG fantômes, sans véritable mission et qui "pomperaient" l'argent du secteur non formel pour leur utilisation personnelle ; ainsi, chaque parti politique dirige sa propre ONG. Les ONG "traditionnelles", qui ne percoivent que trés rarement des aides gouvernementales, dénoncent ce système qui emporte les budgets avec lesquels elles pourraient mettre sur pieds bon nombre de projets d'éducation non formelle. Le gouvernement, quant à lui, reconnait ne pas avoir mis en place des critères stricts lui permettant une transparence dans l'utilisation des subventions accordées aux ONG, et permettant d'éviter les débordements ; néanmoins, rien n'est fait actuellement pour tenter d'enrayer ce phenomène.
M. Vidhyadharan, coordinateur du TANPIC (Tamil Nadu Primary School Improvement Campaign), affirme que c'est tout le système politique et administratif qui est corrompu : "Les cadres de l'administration participent au jeu des chaises musicales ; chaque année, les directeurs des différents départements du ministère de l'education s'echangent leur poste entre eux. C'est pour cette raison que les véritables problèmes ne sont pas pris en compte, on tourne en rond…".

Pourtant, des rencontres ont regulièrement lieu entre ONG et membres du département de l'éducation ; mais une grande méfiance s'est installée des deux cotés et empêche un véritable dialogue constructif qui permettrait d'amener des solutions concrètes. Les ONG ne croient plus aux discours du gouvernement, et le gouvernement ne partage pas les discours idéologiques des ONG…
Chacun fait donc son chemin de son coté, et c'est tout le système scolaire qui pâtit de ce problème de communication.

Emilie