L'éducation malade de l'Inde |
L'éducation de ses enfants est le devoir premier de toute nation, car c'est par elle que les adultes de demain se donneront les moyens de tendre vers l'amélioration de la société dans son ensemble. Mais l'Etat Indien semble parfois oublier qu'il lui revient d'incarner cette nation et de prendre en charge ses devoirs.
Partons pour nous
en convaincre sur les traces de l'école de Vadakarai, un
petit village de la zone des Red Hills au nord de Chennai, où
la majorité des enfants ne travaille pas sur les bancs de l'école
mais dans les usines de riz pour lesquelles leurs parents ont signé
un contrat d'endettement qui lie la famille entière. Douze enseignants
se partagent 570 enfants agés de 6 à 10 ans, l'institutrice
du premier standard (CP) étant ainsi en charge de 72 d'entre eux.
Faute de crédits, l'école manque donc de professeurs mais
aussi tout simplement d'éclairage, de toilettes, de tables et de
chaises pour les centaines d'enfants assis à meme le sol. 300 enfants de cette école rurale (étudiant entre les 3e et 5e standards) bénéeficient chaque soir d'une heure de soutien scolaire financé par l'Etat à hauteur de 10 roupies (20 centimes d'euro) par enfant et par mois pour chaque professeur. Ce projet ne peut cependant etre prolongé au-dela de 4 mois, par manque de fonds gouvernementaux une fois encore. Faute de pouvoir leur offrir des conditions favorables pour étudier et un soutien réel en cas de difficulté, 91 des 550 éleves scolarisés l'an dernier abandonnèrent ainsi purement et simplement l'école. C'est alors aux ONG de relayer ce déficit éducatif découlant directement des carences et du désinteret de l'Etat Central.
Mais revenons en
détails sur le système éducatif tel qu'il se presente
au sud de l'Inde, dans l'Etat du Tamil Nadu. Les enfants étudient dans ces écoles publiques cinq matières principales : le Tamil, l'Anglais, les Sciences sociales (principalement de l'histoire), les Mathématiques et les Sciences naturelles, auxquels viennent parfois s'ajouter le Yoga, l'éducation physique ainsi que des cours de morale. Le passage dans la classe supérieure se fait en fonction de l'assiduité et non des résultats jusqu'au 5e standard. Ce sont ensuite les notes qui sont prises en compte et qui mènent à l'obtention d'un diplome au terme du 10e standard (l'équivalent de notre Seconde). Les élèves peuvent alors poursuivre leur scolarité jusqu'au 12e standard au terme duquel se dresse l'Université dont les frais d'inscription barrent irrémediablement l'entrée aux élèves issus de famille modeste. Il n'existe aucun système de bourse pour ces enfants qui doivent donc entrer sur le marché du travail dès que possible. L'obtention du diplome du 12e standard est cependant bien loin de leur garantir un emploi du fait de la situation de chomage chronique dont souffre l'Inde depuis son ouverture à la mondialisation.
C'est pour tenter
de pallier à certaines carences de ce système que l'ONG
Jeeva Jyothi fut créee à Chennai en 1994. Elle centre
son action sur la scolarisation des enfants des rues, au travail ou errant
du fait du désintéret parental. Elle propose également
des cours de soutien scolaire pour prévenir les cas d'abandon et
d'échec scolaire des plus démunis. Pour tenter de restaurer
un minimum d'égalité au sein des écoles publiques,
elle leur paie dès la rentrée des classes un uniforme, des
cahiers et stylos. Et elle se bat avec eux pour la difficile obtention
du certificat de caste qui leur assure des aides minimales. Jeeva Jyothi prend également position sur la scène publique ; elle dénonce ouvertement les choix politiques des dirigeants qui réduisent sans cesse le budget de l'éducation et méprisent toute politique en faveur de l'emploi au profit des crédits militaires et des essais nucléaires. Elle s'attaque également à l'hypocrisie et la corruption géneralisée des partis politiques qui captent à la source les crédits reservés aux enfants tout en votant une loi 'historique' en vertu de laquelle aucune classe ne devra excéder 30 enfants. Ce sont aujourd'hui dans l'Etat du Tamil Nadu des centaines d'enseignants qui sont au chomage, attendant désespérement qu'un poste leur soit affecté, parfois plus de dix ans après la fin de leurs études. Et ce alors que les classes sont surchargées et les professeurs débordés, prenant en charge 70 enfants pour un salaire de 6000 à 8000 roupies par mois (120 à 160 euros). Enfin, elle ose parler
des problèmes de l'école, de ses maux trop longtemps tus,
les exposer publiquement afin d'engager un débat constructif avec
les professeurs et les autorités. Elle denonce ainsi le laxisme
et l'irregularité de certains enseignants qui, faute d'habiter
près de leur lieu de travail, se rendent à l'ecole pour
quelques heures ou quelques jours par semaine seulement. C'est alors toute
une politique gouvernementale qui est à incriminer, prononçant
des affectations illogiques et sans appel.
Nous rencontrons ainsi
la directrice de l'école Jamalia située dans le nord
de Chennai. Son volontarisme est à la hauteur des insuffisances
du gouvernement et illustre parfaitement la façon dont s'opère
la gestion des écoles en Inde ; le nécessaire usage de voies
parallèles pour assurer la survie de l'institution. Ici, pas meme
les cinq enseignants en charge des 260 élèves ne disposent
de bureaux et de chaises. Pour mettre en place les infrastructures élémentaires,
la directrice renonça à attendre désespérement
les fonds gouvernementaux ; elle organisa une collecte dans son quartier,
convainquit des commercants de sponsoriser son école, fit participer
tous ses amis et connaissances à l'effort collectif et parvint
finalement à installer l'éclairage dans ses locaux. Elle
dénonce amèrement le fossé qui sépare l'enseignement
primaire du supérieur, le premier étant privé de
tout tandis que les universités sont choyées par le gouvernement
pour l'image qu'elles véhiculent à l'étranger. Elle
attend beaucoup du projet étatique intitulé 'Education
for all Children by 2010' et espère par lui recevoir les
fonds qui lui permettront de batir les toilettes dont l'école est
toujours dépourvue. Elle loue sa coopération avec Jeeva
Jyothi et reconnait que cette dernière apprit beaucoup aux professeurs
sur les besoins et la psychologie de l'enfant, et que tous apprécient
enormement que chaque enfant soit ainsi personnellement suivi en dehors
de l'école. Si le taux d'abandon de l'école demeure trés
élevé _près de 10%_, la directrice affirme qu'il
décroit depuis la mise en place par l'ONG de ses cours de soutien
scolaire quotidiens.
Enfin, le dernier
combat que mène Jeeva Jyothi auprès de ses écoles
découle directement de l'importance que revet encore la religion
dans le système éducatif gouvernemental. Officiellement,
aucune religion n'est enseignée à l'ecole afin d'assurer
le respect et l'égalité de tous les élèves.
Son importance demeure cependant frappante ; la journée débute
et s'achève par la récitation d'une prière collective
sans référence à un Dieu particulier, mais témoignant
du fait que, si chacun peut croire librement, il est encore nécessaire
que chacun croie en quelque chose. Il ne fait pas bon etre athée
dans les écoles indiennes. Mais notre laicité à la
francaise sera plus heurtée encore par la pérennité
de certaines pratiques dont la pertinence quant à la scolarité
des enfants demeure douteuse : lors de son inscription à l'école,
chaque enfant doit ainsi donner sa caste et sa religion, deux marques
indélébiles qui figureront également sur sa carte
d'identité et sa carte d'électeur. Ainsi, si jamais encore la réussite scolaire ne fut entièrement liée au mérite du fait de la pérennité du système de caste et des inégalités sociales trop profondes qui entaillaient la société, on peut désormais affirmer que la religion constitue un obstacle de plus à la méritocratie et au respect élémentaire de l'égalite de tous. Si ces situations extrèmes de violence physique ou de discrimination en lien avec la caste et la religion sont trés loin de s'appliquer à la majorité des écoles, elles ne sont cependant pas marginales et témoignent ouvertement du malaise de l'éducation en Inde. C'est aujourd'hui l'ensemble d'un système qui est à repenser sur des valeurs humaines et égalitaires. Pour que les professeurs puissent enseigner décemment sans attendre des années avant de se voir octroyer un poste. Pour que les enfants puissent étudier dans des conditions favorables aptes à restaurer une certaine égalité des chances. Pour que la question de l'appartenance de caste et de religion ne soit plus meme posée. Pour cela, c'est à l'Etat de réagir, en luttant contre la corruption de ses partis, tout d'abord, puis en injectant les fonds à la mesure de l'ampleur de sa tache. Mais c'est aussi à la société dans son ensemble de dicter à l'Etat ses priorités ; il lui revient alors la lourde tache de repousser la religion dans la sphère privée et les castes dans l'illégalité afin que soit enfin reconnue l'égalité de tous de laquelle découlera tout naturellement le respect du droit des enfants à une éducation gratuite, valable et apte à ressouder la communaute nationale.
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