Bonded Labour ou l'esclavage au nord de Chennai

A l'aube de son indépendance, l'Inde mit hors la loi le travail par contrat d'endettement et le travail des enfants par les articles 23 et 24 de sa Constitution. Pour assurer l'effectivité de ces textes de loi, elle se dota en Octobre 1975 du Bonded Labour System Abolition Act en vertu duquel toute personne travaillant du fait de la signature d'un contrat d'endettement se voyait immédiatement libérée de ses obligations de travail et de remboursement de la dette. Il existe cependant aujourd'hui encore pas moins d'un million de travailleurs par contrat d'endettement dans le seul Etat du Tamil Nadu. Et ce en dépit des vœux pieux des autorités politiques locales qui multiplient les petits livres blancs sur les moyens d'appliquer la loi et de réhabiliter les travailleurs après leur libération .

Mais qu'est ce réellement que le travail par contrat d'endettement ? Qui en sont les victimes et les profiteurs ? Et qu'est ce qui explique qu'aujourd'hui encore l'esclavage existe dans ce pays que l'on décrit parfois comme la plus grande démocratie du monde ?

Un travailleur par contrat d'endettement se caractérise par le fait qu'il soit lie a son employeur par un arrangement reposant sur une dette contraignante. Le processus qui le mena à cette forme d'esclavage moderne s'articule en trois temps : tout d'abord le propriétaire vient à la rencontre de populations rurales très endettées du fait de la chute des cours agricoles, de la sécheresse ou du mariage d'une de leur fille dont il fallut payer la dot équivalent parfois à plusieurs années de salaire. Il leur offre le remboursement immédiat de leurs créances (en général de 5000 a 10 000 Rs soit de 100 a 200 euros) en échange duquel la famille tout entière devra venir travailler sur les terres ou dans l'usine qu'il leur désignera. Elle devra y demeurer le temps nécessaire au remboursement d'une dette transmise en héritage aux enfants du contractant. Le premier point définissant le travail par contrat d'endettement est donc ce prêt octroyé par l'employeur au travailleur ainsi irrémédiablement lié à lui jusqu'au terme du remboursement.
La seconde caractéristique est le lien entre ce prêt et des conditions prédéfinies de travail pour l'employé et ses enfants. En échange de cet apport d'argent immédiat, ils sont ainsi contraints d'accepter des salaires inférieurs aux rémunérations en cours sur le marche du travail et au salaire minimum fixé par le Gouvernement Central. Et ce sous le poids d'une contrainte multiforme : l'usage de la violence physique, la menace de représailles légales et d'emprisonnement, mais aussi la pression résultant de la faim, de la pauvreté et du besoin ne leur laissant d'autre recours qu'une acceptation inconditionnelle. Enfin, le travail par contrat d'endettement veut que, jusqu'au remboursement intégral de la dette, le travailleur et ses descendants ne soient pas autorisés à quitter les terres ou l'usine de l'employeur ni à occuper un emploi chez un autre patron. Les enfants héritent donc non seulement de la dette de leurs parents mais aussi de l'esclavage les empêchant de tenter de percer les portes du monde extérieur.

A cette définition officielle s'ajoute par ailleurs bien des traits communs aux populations asservies. Bien souvent, ces travailleurs sont illettrés et ont donc signé des contrats 'blancs' sur lesquels le taux d'intérêt de remboursement de la dette n'était pas inscrit. Il est donc fréquent de les voir enchaînés à des traites dont le taux d'intérêt culmine à 1000%, rendant ainsi le remboursement quasi impossible. D'autre part, nous avons vu que ces travailleurs et leurs enfants se voyaient scrupuleusement interdire l'exercice de toute autre activité professionnelle sous contrainte de la menace physique et légale. Or, les activités dans lesquels ils sont employés ne leur permettent souvent pas de travailler plus de 6 mois par an, du fait des conditions climatiques, des floraisons ou des cycles de reproduction des animaux. Ne pouvant sortir des murs de leur prison masquée, ils doivent donc faire de nouveaux emprunts à leur employeur afin de survivre durant ces mois maigres, emprunts dont l'intérêt viendra se cumuler aux créances passées, entretenant ainsi le cercle infini de la dette et de l'esclavage. Par conséquent, du fait de leur illettrisme, des termes du contrat et des manœuvres des employeurs qui jouent des chiffres pour renforcer chaque jour le lien qui les unit a ces familles entières, les travailleurs se révèlent bientôt incapables de chiffrer le montant de leur dette et le nombre d'années qu'il leur faudra encore souffrir avant de retrouver leur liberté. La situation est pire encore pour les travailleurs de la deuxième ou troisième générations qui ne connurent rien d'autre que le travail forcé et ne remettent plus guère en cause la situation qu'ils ont héritée de leurs parents, ne connaissant d'ailleurs généralement pas le montant de cette dette.

Ces travailleurs forcés, nous les retrouvons aux quatre coins de l'Etat du Tamil Nadu, dans les fabriques d'allumettes, de briques, de bidis ou de cigarettes, dans les ateliers de tissage de tapis ou dans les soieries de Kancheepuram. Les banlieues nord de Chennai hébergent quant à elles plus de 200 usines de riz dans lesquelles travaillent et vivent près de 950 familles. Les rabatteurs des usines sont allés cherché certaines d'entre elles dans leurs campagnes paupérisées, d'autres sont venues d'elles-mêmes, attirées par les promesses de prêt immédiat, mais la majorité représentent déjà la deuxième ou la troisième générations prises dans l'enfer des usines. Les conditions ici n'ont rien a envier à l'esclavage des siècles passés. La journée commence à deux ou trois heures du matin et se termine vers 18h, quinze heures de labeur a peine entrecoupées d'un maigre repas pour tout repos. La récolte de riz y est bouillie et rincée dans d'immenses cuves d'eau trouble avant d'être étalée sur le sol de ciment pour en permettre le séchage. Mais une température de 40 degrés et le feu du soleil ne suffisent pas a faire sécher ce riz que les pieds nus des ouvriers doivent inlassablement tasser, parcourant ainsi de 20 a 30 km par jour sous la brûlure du soleil. Ces familles parviennent a produire de 12 à 15 sacs de 75 kilos par semaine, chaque sac leur étant payé environ 14 roupies dont 60% sont prélèves à la source par le producteur au titre de remboursement de la dette. Ces familles, ne comptant jamais moins de trois enfants, doivent donc vivre avec moins de 100 Rs (2 euros) par semaine, à peine de quoi faire deux repas par jour. Puis viennent les mois de pluie et les jours ou le soleil ne brûle pas, durant lesquels le travail du riz est impossible. Les familles ne peuvent donc travailler a l'usine mais n'ont pas pour autant le droit de chercher du travail ailleurs comme le veut l'esclavage par lequel elles sont liées. Leur seul recours demeure alors d'emprunter un peu plus d'argent encore au propriétaire pour acheter ces sacs de riz qu'elles ont elles-mêmes produits pour 14 Rs et qui se vendent 150 Rs sur le marche. Chaque soir, le surveillant de l'usine en ferme les portes et compte ses homes et ses familles pour être sur que nul ne tente de se soustraire à la dette.

Mais la partie la plus tragique de ce drame moderne est jouée par les enfants. Dès l'age de 7 ou 8 ans, ils aident leurs parents dans le four des usines, tassant eux aussi de leur petits pieds le riz brûlant, portant haut sur leurs épaules de lourds paniers pleins de ce riz, ou baignant dans les cuves poisseuses de rinçage. Ils savent très tôt que c'est là le futur qui les attend en dépit de l'apparente confiance de leurs pères qui affirment qu'ils auront bientôt terminé de payer la dette et pourront quitter cet enfer.

C'est ici que Jeeva Jyothi, une ONG de Chennai se battant pour l'éradication du travail des enfants et leur scolarisation, concentre une large part de son action. Inlassablement depuis cinq ans, ses membres approchent les propriétaires des usines, les travailleurs et leurs enfants. Ils ont désormais accès à une centaine d'usines dans lesquelles ils se rendent quotidiennement pour convaincre les parents de laisser leurs enfants aller à l'école. De faire ce sacrifice pour qu'ils aient un autre futur que celui que leurs parents vont immanquablement leur léguer ; la dette et le travail force. L'association a ainsi réussi a scolariser près de la moitie des enfants auparavant au travail, prenant en charge les frais d'inscription et l'achat des livres, cahiers et uniformes. Mais le prix a payer en est souvent le travail plus dur encore de ceux qui n'auront pas cette chance. C'est ainsi la triste histoire de Marriyammai, une enfant de 13 ans a peine. Son visage est émacié, ses traits très purs, et ses grands yeux noirs paraissent immenses dans tant de maigreur. Sa robe sale et déchirée, son visage à la peau sombre tannée par le soleil et ses cheveux emmêles lui donnent un air sauvage. Une ombre craintive passe dans son regard lorsque je m'approche d'elle mais se transforme bientôt en un large sourire heureux de voir s'approcher quelqu'un de si étranger à son univers quotidien. Marriyammai a l'air très jeune, très frêle, trop frêle, et elle semble extenuée lorsqu'elle me raconte la tête basse sa vie quotidienne. Elle et sa sœur de 15 ans travaillent chaque jour de 2h du matin a 18h pour soutenir leurs parents et permettre a leur jeune frère d'aller à l'école. C'est le sacrifice qui leur est imposé à tous : travailler plus pour que l'un d'entre eux ait accès à l'éducation, le fils bien sur car les filles passeront a la famille de leurs époux et n'apporteront bientôt plus rien a la famille. Elle me dit a quel point elle aimerait aller a l'école, combien elle rêve d'y accompagner son frère mais elle n'eut d'autre choix que de se résigner car sans sa participation et celle de sa sœur aînée, la famille ne pourrait pas même manger deux fois par jour. Elle me dit avec un peu de gêne, comme si c'était une faute et une honte, qu'elle ne va que deux fois par semaine aux cours d'Education Non Formelle de Jeeva Jyothi, qu'elle aimerait y aller chaque jour mais qu'elle n'en a pas la force. Elle nous fait comprendre avec beaucoup de pudeur que l'usine la tue, qu'elle est si fatiguée après 16h de travail force qu'elle ne peut physiquement plus réaliser un petit morceau de son rêve.

Pour ces enfants qui n'ont d'autre choix que de travailler 15h chaque jour, Jeeva Jyothi a donc mis en place des cours d'Education Non Formelle, chaque soir vers 18h. Les enfants y apprennent les bases de la lecture et de l'écriture, mais dans ce quartier de Red Hills ou les usines tuent l'enfance, ces cours sont aussi l'occasion de jouer et de rire. L'éducatrice de l'ONG passe de la musique, fait danser et chanter les enfants, et véhicule des messages par de petites chorégraphies mettant en scène des problèmes quotidiens. Elle assure parallèlement des cours de soutien scolaire pour les enfants qui sont scolarises mais que leur univers familial prédispose a l'échec scolaire. Ces enfants sont en effet la première génération a aller à l'école et le réflexe de l'éducation, sa valorisation sont rarement choses acquises au sein des familles. Les enfants scolarises ont d'ailleurs quasiment tous une journée double telle la petite Valli, 12 ans, qui m'explique qu'elle se lève chaque matin a 3h, travaille quatre heures durant avant de rejoindre l'école puis deux heures encore a son retour des cours du soir. Il faut donc soutenir ces enfants au quotidien dans leur apprentissage, et leur offrir tout simplement un endroit calme pour travailler, loin des taudis sans fenêtre ni électricité dans lesquels ils vivent. Ces deux groupes se retrouvent et se mêlent chaque soir afin de stimuler ceux qui travaillent et leur montrer qu'ils doivent se battre encore auprès de leurs parents pour avoir le droit eux aussi d'aller à l'école. Ces interactions encouragent le passage de l'Education Non Formelle à l'école en éveillant chez les enfants le désir d'apprendre et la conscience que le travail des enfants est un crime.
Les travailleurs sociaux de Jeeva Jyothi sont très durs avec les parents qui ne scolarisent pas leurs enfants car c'est bien souvent leur incompréhension de l'enjeu qu'est l'école plus qu'une question de survie de la famille qui explique la situation des enfants au travail. De fait, au cours des cinq dernières années, l'ONG est parvenue a faire légèrement augmenter le prix des sacs de riz afin de desserrer l'étranglement financier des familles qui les obligeait a faire travailler leurs enfants. Leur scolarisation dépend donc aujourd'hui de deux facteurs ; l'intelligence des parents acceptant de rembourser plus tard la dette pour donner une chance a leurs enfants et le prix que le propriétaire accepte de payer pour chaque sac de riz.
La première usine de riz dans laquelle je pénètre est de dimension modeste ; une large dalle de ciment entourée de hauts murs pour cacher des regards indiscrets la réalité du travail force. Des cuves dans lesquelles des corps sont a demi immerges, casses en deux pour remuer le riz qui y trempe. Et puis le riz, étalé en larges couches sur la dalle que des hommes rassemblent, étalent et piétinent inlassablement sous un soleil de plomb. Les saris des femmes sont sales, déchirés, et portes à même la peau, sans la traditionnelle jupe qui masque la transparence du voile. Mais plus encore que le décor et la chaleur étouffante de ce lieu, ce sont les hommes qui incarnent le mieux l'horreur de la vie des usines de riz. Courbes par l'effort, ils évoluent sur cette grande étendue jaune comme des ombres, des silhouettes indescriptibles tant la maigreur fait ressortir chacun de leurs os, juste couvertes d'un pagne sale. Je rencontre Palani, sa peau et ses yeux sont brûles par le soleil, son regard injecte de sang. Il n'a que 42 ans mais ressemble a un vieillard ne pesant guère plus de 45kg. Il a un regard très doux qui contraste étrangement avec sa peau si dure et les os qui saillent sur son visage. Il accepte de répondre à mes questions mais le regard bas, sans que je parvienne a savoir si c'est de honte, de douleur ou de résignation d'avoir a raconter cela a une jeune blanche, une obligation de plus dans sa vie sans liberté. Il a trois enfants dont deux sont pris en charge dans les crèches de Jeeva Jyothi mais l'aine de 7 ans travaille pour aider ses parents qui ne peuvent s'en sortir autrement. Palani et sa famille travaillent 16h par jour et gagnent quelques sacs de riz et 250 roupies (5 euros) par semaine dont la majeure partie va au remboursement des intérêts de la dette. Contrairement a bien des travailleurs par contrat d'endettement, lui sait qu'il lui reste cinq années à passer dans l'usine avant d'avoir épongé sa dette initiale, soit huit ans d'esclavage pour rembourser quelques 5000 Rs (100 euros). Mais il ne me dit pas combien il emprunte encore a son employeur pour survivre durant la saison des pluies ou les mois sans soleil. Panali me montre sa maison, un trou noir pareil a tous les autres adosses au mur d'enceinte. Un cube de béton de deux ou trois mètres carres, avec pour seule ouverture cette entrée, sans porte ni fenêtre. Il n'y a rien à l'intérieur, pas de table, de lit ni d'armoire, juste un coffre contenant les quelques vêtements et ustensiles de cuisine de la famille. Il n'y aurait guère l'espace de toute façon. Il parait d'ailleurs impossible que les cinq membres de la famille puissent dormir à l'intérieur, mais j'apprends que c'est là la raison des ouvertures sans porte percées dans la façade : permettre aux adultes d'étendre leurs jambes à l'extérieur pour s'allonger. C'est simple. Si simple que Palani refuse que je le photographie avec sa famille de peur d'être battu par les patrons de l'usine qui n'aiment guère que l'on parle d'eux. Pour Palani et sa famille, c'est donc bel et bien l'inconscience de l'employeur qui accule les enfants au travail. La question n'est pas la vitesse de remboursement de la dette mais bien le besoin de manger chaque jour.

Pour lutter contre cette forme d'esclavage qui frappe encore partout en Inde, Jeeva Jyothi a donc mis en place dans le quartier de Red Hills des cours d'Education Non Formelle pour les enfants travaillant dans les usines et des cours du soir pour soutenir les enfants scolarises. L'enjeu est que chacun sache lire et compter pour mieux se protéger des manipulations des propriétaires des usines qui jouent des mots et des taux pour que jamais les travailleurs ne soient liberés de leur dette. Elle a également fondé des Clubs d'enfants afin de leur donner les moyens de lutter contre la situation qui les attend irrémédiablement ; ils y apprennent les droits de l'enfant, la démocratie, les valeurs morales, l'égalité de tous et l'illégalité du travail forcé. En agissant ainsi sur la nouvelle génération, l'ONG tente donc de lui donner les moyens de lutter seule, de l'intérieur, contre le système qui l'oppresse.
Mais après plusieurs années centrées sur des campagnes de scolarisation, elle dut faire le triste constat que des l'age de 6 ans, il était parfois trop tard pour tirer les enfants hors du cercle vicieux du travail par contrat d'endettement. De fait, leur prime enfance passée dans les cours infernales des usines de riz avait bien souvent laisse de lourdes séquelles rendant difficile leur réussite scolaire. 90% des enfants présentaient ainsi de graves retards de développement intellectuel mais aussi bien des maux physiques : brûlures, diarrhée chronique, décoloration de la peau, problèmes de vue et grave malnutrition. De plus, ces enfants laisses à eux mêmes derrière les portes closes de l'usine n'étaient psychologiquement pas prêts a entrer en contact avec le monde extérieur et donc a être scolarises. L'ONG décida alors d'intervenir dès le plus jeune age, par la mise en place de crèches (balwadis) visant a assurer le développement physique, psychologique et intellectuel des enfants, a les familiariser avec la vie en communauté et a leur donner le goût d'apprendre qui prouvera peut être à leurs parents la nécessite de scolariser ces petits.
Cependant, en vertu de sa ligne directrice visant à un développement durable de la qualité de vie des enfants par la refonte de la société dans son ensemble, Jeeva Jyothi a également créé dans le quartier de Red Hills des Groupes de femmes visant a faire prendre conscience a l'ensemble de la communauté de ses droits et des droits de l'enfant. Ces clubs sont ainsi l'occasion pour les travailleuses de sortir de l'usine, de se confier, d'échanger et de créer un lien entre les familles arrachées de leur villages pour être jetées en esclavage. Mais le but a long terme de l'association, inavoué car la loi indienne interdit toute action politique ou syndicale aux ONG, est de réunir suffisamment de femmes pour créer une fédération de poids en mesure de lutter contre les propriétaires eux-mêmes pour leur imposer des conditions de vie et des salaires décents. Ces vastes regroupements permettraient également de lancer des actions d'envergure auprès du gouvernement du Tamil Nadu pour qu'il soit contraint de réagir, et ne puisse plus fermer les yeux avec complaisance sur la destinée de milliers de familles moyennant une généreuse compensation financière de la part des propriétaires d'usines.

Je me rends, avant de quitter les usines maudites des Red Hills, dams les cours d'Education Non Formelle et les cours du soir que Jeeva Jyothi organise au sein même d'une des usines de riz. Certains enfants portent leur uniforme de l'école, d'autres les traces de leur journée de travail. A ces derniers je demande comment ils réagissent face à cette injustice qui ne leur permet pas de rejoindre leurs camarades et leur regard surpris de ma question me déroute. Ils sont résignés et n'attendent guère du futur, ils savent que leur destin n'est plus entre leurs mains et que tout dépend des propriétaires qui lient leurs parents et maîtrisent donc de droit leur propre destin. Les patrons ont réussi. Ils ont inculqué dans ces esprits si jeunes la résignation de l'esclavage. Cependant, ces enfants me prouvent qu'il reste de l'espoir lorsque j'ose enfin leur poser la question si légère en Occident et si douloureuse ici du métier qu'ils rêvent de faire plus tard. Les regards s'éclairent et les bouches s'ouvrent… aussitôt murées par les mères qui nous entourent et nous ramènent à la réalité. Leur travail sera ici, dans les usines de riz, avec leurs parents car ils doivent rembourser une dette qui ne s'effacera jamais. C'est la tout ce qu'ils recevront en héritage de leurs parents-esclaves. Les visages des enfants se ferment, les regards se baissent. Il n'y a rien a ajouter… Sauf peut-être les mots d'un petit garçon qui vient me demander au moment de partir, dans le creux de l'oreille pour que les mères ne puissent entendre, si moi je continue a avoir de l'espoir pour les enfants de Red Hills. Alors je lui dis oui, car c'est notre devoir de ne pas perdre espoir en dépit de la situation désespérée. Pour eux.

Anne-Lise.