Les crèches, ou Balwadis, de Jeeva Jyothi

Nous sommes dans le quartier de Red Hills, une zone qui fut autrefois rurale mais sur laquelle la ville tentaculaire de Chennai gagne peu à peu du terrain. C'est ici que se trouvent les usines de riz qui emploient des milliers de travailleurs réduits à un quasi esclavage pour des générations entières. Presque tous sont illetrés et par conséquent totalement démunis face aux usuriers qui jouent des chiffres pour que jamais leur dette ne soit remboursée. Les enfants de ces hommes-esclaves travaillent eux-aussi, dès le plus jeune age, pour rembourser la dette parentale ou tout simplement pour permettre à la famille de survivre lorsque 60% de son maigre salaire est d'office prélevé au titre de remboursement de l'intéret de la dette.

C'est dans ce cadre que l'ONG indienne Jeeva Jyothi a choisi de créer quatre balwadis - crèches, reservées aux enfants de 3 à 5 ans. Ces crèches viennent supporter le réseau déjà en place des crèches gouvernementales ou fondées par les initiatives privées de certains propriètaires moins inhumains que d'autres.
Dans le village d'Atthi Vakkam, la balwadi de Jeeva Jyothi accueille ainsi quotidiennement une trentaine d'enfants issus de familles vivant dans les usines de riz. C'est une jolie batisse au toit de paille entourée d'une petite cour où les enfants peuvent jouer et dormir à l'ombre des arbustes, une bénediction au vu de la chaleur étouffante qui règne à l'intérieur. Les murs y sont nus, sans dessins ni peintures faute de papier et de crayons. L'enseignante sort fièrement le matériel scolaire dont elle dispose pour eveiller les petits ; six posters plastifiés aux coins jaunis qui lui permettent d'enseigner l'alphabet, les trois premières tables de multiplication et les opérations basiques, l'anatomie, les animaux, et les gestes de premier secours. C'est la tout le programme d'une année, qui semble bien triste ainsi repeté quatre heures chaque jour jusqu'à ce que les enfants l'anonnent par coeur. Mais faute de matériel, il est difficile d'éveiller autrement les enfants, par les jeux, le dessin, les jouets ou la création artistique comme nous le faisons si aisément dans nos écoles maternelles.

Mais il est évident qu'ici, l'enjeu est tout autre. Plus encore que d'apprendre aux enfants à reciter les nombres et les listes, l'objectif est de leur donner le gout de l'école, de les initier au travail scolaire et à la compagnie des autres élèves. Tous évoluent en effet dans un milieu familial totalement étranger à l'education ; ils sont la première géneration à y avoir accès et les initier si tot au rythme scolaire permet de lutter efficacement contre le travail des enfants et l'abandon précoce des études. De fait, plus ce reflexe et ce gout de l'école leur auront été inculqués tot et plus ils seront à meme de lutter, au sein de leurs familles, pour perpétuer ce droit à l'age où ils pourraient aider leurs parents dans les usines.

Pour que ces découvertes naissantes ne soient pas violées par le travail imposé, l'enseignante de Jeeva Jyothi est aussitot relayée par ses travailleurs sociaux qui rendent visite aux parents afin de les convaincre d'inscrire les enfants dès que possible à l'école. C'est un travail de long terme qui s'amorce donc par les balwadis, poursuivi par les campagnes de scolarisation puis par la délivrance de cours du soir afin d'éviter l'échec scolaire et l'abandon de l'école. Ou encore par les cours d'Education Non Formelle pour les enfants qui n'eurent d'autre choix que de travailler dans la fournaise des usines de riz. Mais pour eux aussi, les balwadis eurent indéniablement de l'importance car, si elles ne parvinrent pas à lutter contre la pauvreté qui les obligent à travailler, elles leur donnerent cependant la motivation de venir assister au cours chaque soir en dépit de la fatigue de l'usine.

Enfin, au delà du role fondamental que jouent ces crèches dans la préparation à la scolarisation au sein d'une population où l'école n'est pas la norme, les balwadis permettent également de lutter contre la maladie la plus dure qui touche les enfants des usines de riz ; la malnutrition qui freine leur croissance physique et leur développement mental. Ces enfants, si petits et freles pour leur age, recoivent en effet ici un dejeuner complet sans lequel ils ne mangeraient qu'une ou deux fois par jour une maigre assiette de riz auprès de leurs parents.

En dépit de l'étrange maturité qui se lit dans leurs yeux, les enfants du village d'Atthi Vakkam sont encore bien petits pour comprendre le destin de leurs parents et celui qui leur est d'ores et déjà tracé, mais les balwadis de Jeeva Jyothi offrent un peu d'espoir dans ce paysage si sombre. En les soustrayant, durant les heures du jour, à la fournaise et au vide des usines, et en leur montrant que l'enfance peut etre autre et que l'école vaut la peine que l'on se batte pour elle…


Anne-Lise