ARTICLE 1 : Entre espoir et résignation : le quartier de la prostitution |
On accède à
Seminathaman Colony au nord ouest de Chennai par un sombre passage souterrain
qui traverse la gare de Perambur. Le sol y est jonché de détritus,
l'odeur pestilentielle et le trafic si dense qu'un brouillard enveloppe
les environs. Puis tout à coup, au sortir du tunnel, au delà
de la fumée grise et du dépotoir des rues apparaissent en
contrebas des dizaines de maisons de paille et de bois.
L'une d'entre elle,
Jeeva Jyothi, a ainsi fondé à Seminathaman Colony
un Youth Club au sein duquel se réunissent une quinzaine d'hommes
de 20 à 28 ans. Ils rendent bénevolement des services
à la communaute afin d'ameliorer leur cadre de vie et celui de
leurs enfants ; c'est ainsi eux qui se chargent quotidiennement du nettoyage
des rues, qui y plantent des fleurs où qui batissent des citernes
afin que le quartier puisse etre approvisionné en eau par le gouvernement
moyennant quelques roupies (ce qui n'etait pas le cas jusqu'à l'an
dernier). Ils collectent également de l'argent auprès de
chaque foyer afin d'organiser des festivals et célebrations, principalement
religieux mais aussi pour la nouvelle année ou pour le jour de
l'indépendance, donnant ainsi naissance à une vie de quartier.
Si les réalisations de ce club semblent parfois minces, il constitue
avant tout une instance de socialisation où les hommes rient beaucoup
et apprennent à mieux se connaitre, affirmant désormais
etre prets à s'entraider si le malheur s'abat sur une famille.
Et il est aussi et avant tout le lieu privilegié où les
travailleurs sociaux de Jeeva Jyothi entreprennent l'education et la réforme
des mentalités de ces chefs de famille afin qu'ils éduquent
autrement leurs enfants.
C'est pour mettre
un terme à cette hypocrisie mais aussi à cette grave désillusion
qui minent tout espoir de progression sociale des enfants de ces quartiers
que Jeeva Jyothi a fondé à Seminathaman Colony un
Children's Club où les enfants de 6 à 16 ans se retrouvent
une fois par semaine pour parler de leurs droits, de leurs difficultés,
de leur perception des problèmes du quartier ou de leur santé.
Ils y entonnent des chansons où sont réaffirmés l'horreur
du travail des enfants et le droit inaliénable de l'enfant d'aller
à l'ecole. Ils travaillent de facon informelle les mathematiques,
les sciences socials, les langues mais acquièrent surtout ce qu'ils
nomment un 'sens social'. Chaque semaine, chacun ajoute ainsi une ou deux
roupies au fond commun qui leur permet d'acheter crayons et cahiers pour
l'ecole, apprenant ainsi les réflexes d'épargne qui font
tant defaut a leurs familles. Jeeva Jyothi participe dans ces achats à
hauteur de la somme reunie par les enfants eux-memes. Pour tenter de mettre
un terme à ces pratiques dégradantes et de former les enseignants
aux méthodes et à la psychologie à adopter avec des
enfants venant de milieux où pauvreté, proximité
et parfois désintéret des parents rendent toute perséverance
trés difficile, Jeeva Jyothi organise une fois par mois des rencontres
avec les professeurs. Cette intrusion dans le fonctionnement de l'école
publique est acceptée et reconnue car l'ONG a fait preuve de ses
compétences à bien des niveaux ; tout d'abord en offrant
aux enfants ayant quitté l'ecole pendant plusieurs mois des stages
de remise à niveau intensifs au terme desquels un certificat
d'aptitude leur est délivré pour temoigner de leur niveau
auprès du professeur. Mais aussi en payant leur scolarité,
leurs uniformes, leurs fournitures ou leurs livres lorsque le gouvernement
ne les prend pas en charge. Enfin, en leur offrant des cours d'education
non formelle pour suppléer aux carences du systeme educatif,
inévitable lorsque les classes comprennent plus de cinquante élèves.
Jeeva Jyothi, par
l'ensemble de ses actions à Seminathaman Colony, a donc indéniablement
apporté un peu de réconfort à ses enfants. Si cette
réussite est due à la perséverance de ses membres,
elle découle également de la démarche originale de
l'ONG qui choisit de ne pas se concentrer uniquement sur la scolarisation
et l'eveil des enfants mais aussi sur une réforme en profondeur
des mentalités de leur entourage, en agissant auprès
de leurs parents et de leurs professeurs. Et cette indéniable ampleur
de leurs réalisations rend le retour à la réalité
plus difficile encore. Les mères de ces petites filles nous observent
du pas de leur porte. Elles aussi fondent beaucoup d'espoir dans les actions
des ONG mais sans doute leur pauvreté et leur souffrance ne leur
laissent-elles guère de choix ni d'illusions. Anne-Lise |