Du 17 au 24 juillet, Chennai/Madras : Premières rencontres

Bonjour a tous,

Vous allez recevoir ce message en meme temps que le tout premier car toute connection internet était interrompue à Madras durant les trois derniers jours pour une obscure raison de cables rompus. Cela fait donc bientot une semaine que je suis auprès de l'équipe de Jeeva Jyothi et, si les difficultes et déceptions des premiers jours sont toujours trés présentes, il faut sincèrement reconnaitre que les choses se sont arrangées. J'ai accepté de ne pouvoir accomplir tous les reves que j'avais en tete et compris beaucoup de choses sur la capacité trés limitée des volontaires à se rendre utile auprès d'organisations étrangères, et ce moins en raison d'un quelconque choc culturel que de par la simple incapacité à parler la langue des populations à qui sont destinées leurs actions.

J'essaie donc de me rendre utile en travaillant sur leurs archives et sur les livres qu'ils ont accumulés dans leur petit fond de documentation afin de commencer trés prochainement à rédiger mes premiers articles. Je suis en train de preparer quelques lignes pour Keo sur plusieurs sujets ; child labour, child domestic workers, street children et bonded labour (ce thème a déjà été largement traité par les filles l'année dernière mais il n'est jamais inutile de le rappeler à la mémoire de nos lecteurs). J'espère que cela correspond à vos attentes et permettra de documenter largement le site sur les problèmes de l'enfance à Chennai. Dans un second temps, je m'attelerai aux articles en anglais pour Jeeva Jyothi car ils n'ont pas encore bien défini sur quel sujet je devais me concentrer. Je vais également prendre contact avec l'ashram de Pondichery qui gere une fabrique de papier recycle fait main pour etudier leurs méthodes d'export, leurs prix pour l'étranger et leurs methodes de paiement securisé. Je sens bien que c'est dans ce domaine que Jeeva Jyothi attend le plus des bénevoles. La situation est en effet assez catastrophique car ils ne parviennent à payer ni leurs salariés ni meme les intérets de leur emprunt, un choc d'autant plus difficile à accepter qu'ils étaient initialement trés confiants dans la réussite de ce projet qui devait leur permettre de dégager suffisament de profits pour employer certains enfants du foyer de JJ ayant terminé leurs études et d'autofinancer le fonctionnement de ce meme foyer.

Meme si je ne peux réaliser ce que j'attendais auprès des enfants, j'ai donc la chance de pouvoir avancer un peu dans la partie "journalistique" de ma mission car depuis deux jours, Deva m'emmène visiter différentes zones d'intervention de JJ. Dans la zone de Chennai où est concentrée la prostitution, j'ai ainsi rencontré le Youth Club composé d'hommes de 20 a 28 ans ainsi que le Children's Club accueillant des enfants de 6 a 16 ans. Cette rencontre m'a immensement plu, les enfants avaient l'air si heureux de voir une étrangère qui leur posait tant de questions ! Ils ne sauront sans doute jamais que la plus heureuse de tous, c'était moi. Ces si grands sourires de toutes les petites filles qui me repetèrent cent fois a quel point elles aimaient l'école… Lorsque je leur demandais quel message elles voulaient donner à nos enfants de France, les premiers mots qui leur vinrent furent a propos de l'école ; etudier, beaucoup, regulièrement, allez toujours à l'ecole… et puis jouez, aussi. Tous les enfants riaient beaucoup, me pincaient les joues (assez fort d'ailleurs, j'ai du crier un peu), m'ont fait signer des 'autographes' dans leurs cahiers. J'ai eu beaucoup de mal à les quitter.

Aujourd'hui, nous sommes allés visiter la zone où sont regroupées les familles travaillant le cuir pour en faire des sandales ou ramassant des chutes de tissus au sortir des usines afin de fabriquer de petits rouleaux utilisés dans la phase finale (polissage) de la fabrication de vaisselle. Peu nombreux sont les enfants qui vont à l'ecole car ils doivent travailler avec les autres membres de la famille ne pouvant survivre sans leur aide. Une famille de 6 a 10 personnes, vivant dans environ cinq metres carrés, ne gagne en effet que 1000 roupies par semaine (soit environ 20 euros). Meme si JJ payait l'integralité des depenses scolaires (école, livres, uniformes) comme c'est le cas dans bien des quartiers, les familles ne pourraient donc se defaire de leurs enfants indispensables dans la fabrication. Un autre problème se greffe a celui-ci, à savoir que ces enfants, travaillant dès le plus jeune age, sont désormais habitués à avoir de l'argent entre les mains, et bon nombre d'entre eux refusent d'abandonner cette prérogative pour des cours qui ne changeront de toute facon guère leur futur. Jeeva Jyothi a donc fondé dans ce quartier un centre d'Education Non Formelle qui leur enseigne, deux heures par jour après le travail, les rudiments de lecture et d'écriture. D'autre part, un Women's Club a été fondé ici dans l'espoir de dégager, à moyen terme, des ressources financières suffisantes via de petites activites pour que les familles puissent se passer de la participation des enfants dans le processus de production. La responsable de ce club était cependant trés amère et desillusionnée du fait de l'individualisme des femmes du quartier qui refusent toute coordination. Elles ne surent s'unir que pour aller déposer une demande au gouvernement du Tamil Nadu lorsqu'un incendie ravagea leurs maisons de paille. En dehors de cette situation de crise, lorsque le Women's Club initia une petite fabrique de sauce pimentée, personne n'accepta de rembourser l'investissement initial. La responsable a pour projet de fonder une petite unité de fabrication de bougies mais elle est bien pessimiste quant à la possibilite de réunir les 6000 roupies nécessaires à l'investissement de départ (dans le cadre de ces projets, JJ verse la meme somme que celle réunie par les femmes du club).

Nous avons également visité une zone de 20 mètres carrés, majoritairement peuplée par des familles de coolies et dans laquelle s'entassent 370 familles, soit environ trois par maison de paille. Cela semble tout bonnement impensable. Contrairement à la zone precedente, le problème ici n'est pas le travail des enfants mais leur refus pur et simple d'aller à l'ecole. Face à mes interrogations, Deva m'expliqua que ces cas d'abandon de l'école par des enfants n'ayant pas à travailler étaient dus à plusieurs facteurs ; tout d'abord dans bon nombre de cas, les humiliations et mauvais traitements délivrés par les professeurs sont à incriminer, ayant meme poussé certains enfants de sa connaissance au suicide. Mais la principale raison est une totale décharge des parents qui envisagent l'education de leurs enfants comme un fardeau. Les enfants n'ayant pas d'inclination particulière pour l'ecole refusent donc obstinement d'assister aux cours et èrrent toute la journée dans les quelques rues du quartier. Durant notre visite, deux pères de 29 et 25 ans vinrent se plaindre à Deva que leurs fils n'allaient pas à l'ecole. Deva a lourdement sermonné les deux garcons de 10 et 13 ans et, après près d'une demi-heure de réprimande, ils ont accepté que Deva les conduisent à l'ecole lundi matin. Deva m'expliqua que ce cas était trés rare, car géneralement les parents regardent avec indifférence, sinon hostilité, les programmes de JJ pour mettre les enfants à l'ecole. Pour ces enfants qui ont abandonné l'école durant plusieurs années, JJ met en place des stages de remise a niveau intensifs au terme desquels leur sera delivré un certificat attestant auprès du professeur de leur niveau. Ceci témoigne du climat de confiance que JJ a su instaurer auprès des écoles des quartiers où sont menées ses actions. D'autre part, pour prévenir ces cas d'abandon souvent dus au sentiment de l'enfant de ne pas etre à la hauteur, les travailleurs sociaux proposent des cours du soir où ils aident les enfants à faire leur devoir et leur offrent aussi tout simplement un endroit calme où travailler (une necessité lorsque l'on voit l'incroyable proximité dans laquelle ces familles vivent).

Voilà brièvement le compte-rendu de mes deux derniers jours, une fois encore n'hésitez pas à repondre et à m'envoyer vos remarques et conseils.
S'il y a parmi les lecteurs des connaisseurs du commerce équitable, surtout qu'ils nous donnent leur avis sur l'usine de papier.
A tres bientot,
Anne-Lise.