Du 17 au 24 juillet, Chennai/Madras : Atterrissage difficile. Désillusions humanitaires.

Bonjour à tous les membres et amis de Keo,

Je m'appelle Anne-Lise et je vais avoir la chance de partager avec tous les fidèles de l'association ma petite aventure personnelle auprès de Jeeva Jyothi.
Je suis arrivée à Madras il y a trois jours, avec beaucoup de projets un peu flous dans la tete et un immense besoin de me rendre utile, de faire de l'humanitaire au sens propre du terme, d'etre au plus proche du terrain et des habitants. Et je dois avouer que mon installation m'a révelé avec beaucoup de dureté l'utopisme de ces ambitions. Les premiers contacts avec les membres de Jeeva Jyothi ne furent pas évidents, non pas en raison d'une quelconque froideur de leur part mais tout simplement car ils n'avaient pas l'air bien au courant de mon arrivée, de ce que je souhaitais faire ici, ou meme de la durée de mon sejour. Je suis donc parvenue à les rencontrer après plusieurs heures et j'ai obtenu un rendez-vous avec le directeur le lendemain.
Deva, le responsable des actions sur le terrain, Joseph, en charge d'un programme de recherche (apparemment encore non defini) et Nimmi qui coordonne les actions et seconde le directeur accompagnaient celui-ci. Notre entretien commenca d'une facon assez étrange, ils me demanderent ce que je voulais faire ici, quelles étaient mes ambitions. Je leur expliquais donc que ma mission première était d'ecrire un journal de bord et un certain nombre d'"articles" pour Keo, afin que l'association assure un suivi auprès de ses membres et donateurs, mais que j'aimerais aussi etre utile aupres d'eux, les aider de quelque facon que ce soit. Et c'est la que le bat blesse. Ils se regarderent tous d'un air consterné jusqu'à ce que le directeur decide de faire un tour de table pour que chacun des membres de l'equipe suggère en quoi je pourrais les assister. Je vous laisse imaginer le silence très pénible qui s'ensuivit. Ils arrivèrent finalement a trouver quelques petites choses pour moi ; ecrire un ou deux articles en anglais pour qu'ils les envoient à differents journaux et faire une brochure de synthèse pour leur dixième anniversaire afin qu'ils puissent la distribuer à leur donateurs et amis. C'est donc plus un relatif travail de journaliste qu'un travail humanitaire qui m'attend. Je dois dire que maintenant que je suis ici, je me demande comment j'ai pu avoir l'audace de penser que je pourrais etre réellement utile aupres d'enfants ou de personnes en difficulté, c'était sans doute trés prétentieux.
Voila donc un trés bref compte-rendu de mes deux premières journées passées à Jeeva Jyothi ; elles furent indeniablement trés tristes et traversées de questionnement sur la raison et l'utilité de ce voyage de deux mois qui ne va pas apporter grand chose a JJ ni probablement a Keo (car JJ n'a prevu de me faire visiter ses centres que durant une semaine), et qui me bloque à Madras, une ville dans laquelle on est loin de souhaiter s'attarder…

Mais j'ai la chance d'avoir aupres de moi Johijn, une étudiante en informatique de 21ans qui entame son troisième mois auprès de Jeeva Jyothi (elle les a rejoints dans le but d'ameliorer leur site internet, principalement) et qui elle aussi a souffert bien des désillusions dans sa coopération avec l'association. Peut-etre nos déceptions viennent-elles de la nature de l'Inde elle-meme qui implique beaucoup de pesanteurs et une grande difficulté à changer la moindre petite chose du fait d'habitudes et de susceptibilités fusant de toutes parts. Le directeur a ainsi obstinement éludé mes insistences pour tenter de donner quelques cours d'anglais aux enfants de JJ avec lesquels je vis. Disons donc que Jeeva Jyothi liste dans ses principaux objectifs l'accueil de volunteers aupres d'eux pour les seconder dans leur travail mais qu'ils ne sont absolument pas adaptés à un tel accueil. Ils sont indéniablement trés heureux d'avoir auprès d'eux des gens de bonne volonté mais ne savent absolument pas que leur faire faire. Nous verrons donc par la suite comment tout cela évolue, si je peux malgré tout servir à quelque chose ici.
Mais je disais donc qu'heureusement Johyn etait là car elle me fait découvrir Chennai (et nos peregrinations me font imaginer avec horreur combien il aurait été difficile d'appréhender la ville seule). Mais le vrai bonheur ici, ce sont tous les sourires des enfants. Nous avons beaucoup de mal à communiquer car très peu connaissent quelques mots d'anglais et car Deva (le meilleur traducteur de JJ) est absent la plupart du temps. Mais nous nous approchons doucement, les plus jeunes étant evidemment les plus timides mais aussi les plus attachants. Je ne connais pas encore leurs histoires mais je tacherai d'ecrire quelques articles sur eux pour qu'à votre tour vous puissiez les decouvrir.

Pour revenir à Jeeva Jyothi en elle-meme, je suppose que les articles de l'année derniere écrits lors du voyage de Marion, Virginie, Stephanie et Anais vous ont déjà éclairé sur la nature de l'association. Brièvement, donc, Jeeva Jyothi a trois principaux poles d'activite.
· Le premier est le foyer au sein duquel vivent 25 enfants agés de six a quatorze ans. Aucun d'entre eux ne vivait dans la rue avant son arrivée au centre mais tous viennent de familles eclatées, dont l'un des parents est en general decedé et l'autre sans ressources ou incapable de prendre soin d'eux. Ces enfants étaient tous dans une situation de grande précarité et instabilité avant leur integration a JJ, comme en témoignent leur croissance trés ralentie mais aussi une certaine aggressivité dans le comportement de certains. Ils retrouvent donc ici une vie tres organisée, avec une assez stricte discipline, rythmée par les repas, les jeux, les travaux ménagers (ils se debrouillent quasiment seuls, meme les plus petits se lavant seuls, faisant leur vaisselle et nettoyant les batiments) mais surtout par l'ecole, leur assiduité étant la condition sine qua non de leur maintien à Jeeva Jyothi.
· Le second pole d'activite de JJ est en lien direct avec le premier : JJ a fonde il y a deux ans une usine de papier recyclé fait main qui produit des feuilles de papier bien sur, mais aussi des carnets ou de petits sacs. Le directeur ésperait ainsi degager des ressources suffisantes pour financer le foyer mais cette opération a beaucoup de mal a prendre forme et les profits ne sont pas meme suffisants pour payer le salaire des employes. Si vous avez donc des idées sur la facon de commercialiser ce type de produit en France, n'hesitez pas a m'ecrire (reve.anne-lise@laposte.net) pour que je puisse leur soumettre ces suggestions et tenter de soutenir ce projet en créant des bons de commande ou autre ici. (NDLR : Un projet de commercialisation et de labellisation dans le cadre du commerce équitable est en cours avec l'intermédiaire de Keo)
· Enfin, le plus gros travail de JJ est de se rendre dans certains quartiers (JJ est en charge de la partie nord-ouest de Chennai autour de Perambur) pour convaincre parents et enfants de la nécessité de la scolarisation. En effet, bon nombre d'enfants travaillent durant la journée pour soutenir les revenus de leur famille. JJ propose donc des cours du soir pour ces enfants ou pour ceux qui sont en difficulté. Les membres de l'association encouragent également la tenue de clubs de femmes chargées de la gestion d'un fonds commun qui leur permet de financer certains projets, et de clubs d'enfants au sein desquels sont evoqués les droits de l'enfant et l'importance d'aller a l'ecole. Enfin, une de leur toute nouvelle réalisation est la tenue d'un bureau permanent en gare de Perambur où sont accueillis les enfants qui, pour diverses raisons, ont fui leurs familles. Les travailleurs sociaux parviennent à convaincre la grande majorité d'entre eux de rejoinder le domicile familial et, lorsque la situation rend cette solution inacceptable, ils trouvent un foyer où placer l'enfant de facon temporaire. Voilà en quelques mots les activités de cette association de 42 travailleurs mais je reviendrai plus en détail sur ces dernières au cours de la semaine prochaine, au fil des visites de leurs centres. Si vous le voulez, je vous donnerai egalement un avant gout de Chennai, de la vie ici.
N'hésitez pas à m'écrire, ce sera avec un plaisir immense que je lirai vos mails,

A trés bientot,

Anne-Lise.