Mercredi 1er octobre : Sentiment de culpabilité au sein d'un groupe de femmes

Le rendez-vous est fixé, mercredi en fin d'après-midi aura lieu une réunion des femmes du village à laquelle je suis cordialement invitée.

En fait ce n'est pas vraiment un village mais un quartier de Madras situé non loin de Jeeva Jyothi mais qui semble être totalement indépendant de la ville elle-même. Cela ressemble un peu aux Red Hills, avec ses chemins en terre, ses petites maisons sombres et delabrées, les femmes qui font la cuisine sur le pas de la porte. Il y règne aussi une vraie atmosphère de village.
Devant une maison, des enfants se sont regroupés pour assister aux cours de soutien scolaire du soir, un peu plus loin, des femmes munies de cruches en plastique multicolores attendent leur tour pour tirer de l'eau à la pompe. Le vrai problème du quartier est le manque d'eau potable. Il ne leur est possible de tirer de l'eau à la pompe que deux fois par semaine. Il y a donc une prolifération de bacteries et de virus dus au manque d'hygiène et Jeva Jyothi joue un rôle important de sensibilisation de la population à l'hygiène et à la santé.

Quelques femmes sont déjà là lorsque nous arrivons au point de rendez vous, devant la maison de l'une d'entre elles. Il y a juste assez d'espace entre la maison et le mur des voisins pour que chacune puisse s'asseoir en rang d'oignons à l'occasion de ce rendez vous hebdomadaire.
J'étais attendue, c'est le moins qu'on puisse dire ! J'ai été chaleureusement accueillie par la propriètaire de la maison et toutes se sont serrées pour me faire une petite place entre elle . Nous avons attendu l'arrivée des quelques retardataires et bientôt nous fûmes au complet, nous devions être environ 50 à nous entasser entre les deux maisons et certaines ont meme dû rester debout sur le bord de la route.

Habituellement, les femmes du village se répartissent en trois groupes distincts : deux groupes de femmes hindoues qui se réunissent parfois ensemble et un groupe de musulmanes qui ne se mélangent jamais aux deux autres. Aujourd'hui est un grand jour car du fait de ma présence, les trois groupes ont été réunis pour la première fois. Il y a eu quelques petites incomprehensions au début puisqu'elles croyaient que c'était moi qui allait mener la reunion ! Chacune s'est présentée à tour de rôle puis la réunion a commencé par des chants traditionnels.
En temps normal, les femmes du village se regroupent afin de parler de la petite coopérative qu'elles ont créée et gérer leur budget. Les femmes de ce village fabriquent de la poudre de massala qu'elles revendent sur les marchés ou au sein du village. L'argent gagné est placé sur un compte commun à la banque et représente en quelque sorte une caisse de sécurité sociale pour le village.
Mais aujourd'hui elles ont une invitée et n'ont pas l'intention de me laisser simplement les écouter ! On me demande de parler de moi, de ma famille, de ce que je fais ici, etc...
Tout se passait plutot bien, dans une ambiance chaleureuse, jusqu'au moment où l'une des femmes, la plus agée me semble-t-il, me demande ce que je suis venue leur apporter et si je suis venue ici comme les autres, pour regarder puis repartir dans mon pays sans rien leur donner, alors cela ne sert a rien ! C'est là que j'ai commencé à culpabiliser, à me demander effectivement ce que j'étais venue faire, pourquoi j'avais voulu assister à cette reunion et ce que ma présence pouvait leur apporter de positif…
Je me suis sentie impuissante, elle avait raison, c'est malsain. Certaines femmes ont pris ma defense, elles ont commencé à se chamailler… j'ai essayé de leur faire comprendre que ma présence ici permettrait à de nombreuses personnes en France de se rendre compte de la situation ici et que c'était important…mais bien sûr c'est tellement abstrait que j'avais même honte de le dire. On m'a ensuite demandé de dire quelques mots pour les femmes et les jeunes du village, de leur donner des conseils pour le futur, de les guider un peu dans leur action car mon pays avait réussi alors je devrais bien connaître le secret de cette réussite ! J'avais conscience que mes mots sonnaient faux, que je ne faisais que répeter des banalités…
Elles attendaient tellement de moi et je n'avais rien que mes mots et mes sourires à leur donner. Je n'aurais peut-être pas dû y aller.

Alexandrine