La scolarisation de tous : le défi de toujours de Jeeva Jyothi |
On peut affirmer sans ambiguïté que la raison pour laquelle Susai Raj fonda Jeeva Jyothi il y a neuf ans était de mettre les enfants des rues et les enfants au travail sur les chemins de l'école. Si les ambitions de l'ONG se sont élargies dans une perspective de développement durable par l'action directe de la communauté, la scolarisation demeure encore et toujours son objectif premier. Chaque mois, elle continue de fournir aux écoles publiques de ses quartiers la liste des nouveaux inscrits qui viendront grossir les rangs des 1200 enfants qui les ont déjà rejointes. Mais comment s'y prend-elle réellement pour parvenir à convaincre enfants et parents de l'importance de l'école ? Comment lutte-t-elle contre les obstacles à la scolarisation ? Comment s'assure-t-elle de l'efficacité de cette scolarisation sur le développement de l'enfant ? Autant de questions qui exigent que nous nous penchions un peu plus en détail sur cette action phare de notre ONG. Chaque année, dans
l'intégralité de ses zones d'intervention, Jeeva Jyothi organise entre
Avril et Juin de vastes campagnes d'information visant à éveiller
tant chez les adultes que chez les enfants la conscience de l'importance
de l'école. Ces familles ne sont de fait généralement pas sensibilisées
à la question, les parents étant eux-mêmes illettrés et n'ayant jamais
eu à soulever le problème de l'éducation de leurs enfants. On leur explique
alors tout l'enjeu que l'école incarne, leur devoir d'y envoyer leurs
enfants et les droits de ces enfants à y recevoir une éducation.
Le contact se passe généralement bien et les plus grandes difficultés
sont davantage dues au désinteret total des parents pour la question
qu'à une quelconque réticence de leur part. C'est alors les enfants
eux-mêmes qu'il faut convaincre, ce qui n'est pas chose aisée chez les
plus grands habitués à errer librement sans contrainte. Puis vient le temps,
au terme de ces programmes et de cette lente progression au porte à
porte, de la scolarisation à proprement parler. Les travailleurs
sociaux évaluent donc les enfants et les inscrivent dans la classe leur
correspondant le mieux au vu de leur age et de leurs compétences. Cependant,
pour les plus ages ne pouvant entrer en premier standard (CP) du fait
de leur age, Jeeva Jyothi a mis en place des cours d'Education Non
Formelle par lesquels ils peuvent acquérir assez rapidement les bases
de la lecture et de l'écriture et intégrer ainsi directement la classe
supérieure. L'école exige alors qu'ils soient évalués au
terme de ces cours par un enseignant à la retraite, l'ONG payant
cet examen et la délivrance du certificat témoignant des aptitudes de
ses pupilles. Enfin, après leur entrée à l'école, elle accueille
ces enfants dans ses cours du soir où ils suivent un enseignement
renforcé afin de rattraper le retard qui les sépare encore des
élèves scolarisés dès le premier standard. Les principales difficultés
auxquelles l'association doit faire face dans sa tache d'envergure ont
trait d'une part au refus des enfants d'aller à l'école et d'autre
part aux situations où le travail des enfants est nécessaire à
la survie de la famille. Mais ce point nous
mène à la délicate question des enfants qui aimeraient étudier mais dont
le travail est rendu nécessaire par la pauvreté extrême de la famille.
Le problème dans ce cas peut sembler inextricable car c'est à la précarité
économique de générations entières qu'il faut alors s'attaquer pour scolariser
ces enfants. Cependant, il apparaît que dans la grande majorité des cas
le problème n'est guère lié à des revenus insuffisants mais à
l'incapacité de la famille de gérer ses revenus. Une large part du travail
de Jeeva Jyothi pour scolariser les enfants consiste donc à éduquer
les familles, à leur apprendre les gestes de l'épargne et a leur
faire prendre conscience du gaspillage de leurs ressources qui s'envolent
en alcool, jeu ou loisirs secondaires. L'ONG ne s'attire pas que des amis
dans cette démarche car elle encourage les familles les plus pauvres à
bannir de leur budget les dons quotidiens aux prêtres brahmanes au profit
de la scolarisation de leurs enfants. Cela prend du temps, mais les parents
sont en général réceptifs à ce discours et apprennent à compter
pour libérer leurs enfants. Le problème auquel doit faire face l'ONG pour ces familles si pauvres est son incapacité à leur fournir des revenus alternatifs leur permettant de libérer leurs enfants. Elle se tourne alors vers la loi qui garantit aux plus pauvres des aides dont ils n'ont pas même entendu parler. Un autre volet de sa politique de scolarisation est donc d'enseigner aux familles le contenu des politiques gouvernementales dont elles peuvent bénéficier, de remplir avec elles les formulaires nécessaires et de faire pression sur les autorités pour qu'elles délivrent les certificats recquis et fassent réellement aboutir les démarches. Les postes de fonctionnaires sont en effet aujourd'hui encore tenus par la caste des Brahmanes réticente à délivrer le certificat de caste qui donne droit à des aides spéciales aux Intouchables, craignant que sa domination ne soit ainsi menacée. D'autre part, du fait des larges succès remportés par ses campagnes d'enrôlement à l'école, Jeeva Jyothi peut désormais faire face à de nouveaux défis en lien avec la scolarisation. Elle milite ainsi auprès des autorités pour les enfants handicapés pour lesquels aucune infrastructure ni aucun aménagement ne sont prévus, leur fermant alors sans alternative possible les portes de l'école. De plus, une des raisons principales pouvant pousser les enfants des zones rurales à abandonner l'école est liée au très long trajet qu'ils doivent quotidiennement parcourir pour aller de leur domicile à l'école la plus proche. Jeeva Jyothi a donc pour ambition de mettre très prochainement en place dans le quartier des Red Hills un service de ramassage scolaire gratuit pour que ces enfants défavorisés puissent bénéficier eux aussi de conditions d'étude optimales. La lutte est donc
âpre pour assurer ce droit élémentaire que représente l'éducation, Jeeva
Jyothi devant faire face à la pauvreté des familles, à l'exploitation
des patrons, à l'ignorance des parents ou aux réticences des enfants
eux-mêmes. Cependant, son action ne s'arrête pas à l'heure où
elle parvient enfin à le faire appliquer. L'inscription a l'école
n'est que le premier pas de sa démarche de scolarisation. Elle poursuit
en effet sans relâche ses efforts afin de maintenir les enfants à
l'école, de les aider à y réussir et à s'y sentir bien.
L'action phare de Jeeva Jyothi, celle qui présida à sa création, a donc prouvé son efficacité. Ce sont aujourd'hui plus de 1200 enfants qui sont scolarisés et l'enrôlement continue. Dans toutes ses zones d'intervention, initialement choisies en raison de taux de scolarisation dérisoires, au moins la moitié des enfants fréquentent l'école, et dans trois d'entre elles il est désormais impossible en fin d'après-midi de croiser un enfant ne portant pas l'uniforme de l'école locale. Mais la plus grande réussite de l'association est d'être parvenue à créer des automatismes dans les familles qui, après avoir été approchées pour leurs ainés, scolarisent tout naturellement les plus jeunes dès leurs 6 ans. Dans nombre de ses quartiers, elle est donc parvenue à amorcer ce qui constitue son but ultime : changer les mentalités de l'intérieur pour que bientôt l'intervention des ONG devienne inutile. |