Le foyer Ananda Illam, ou l'espoir des enfants de Jeeva Jyothi

 

Chinnakulandai Main Street abrite une multitude de petits temples hauts en couleur ornés des offrandes de fleurs, de fruits, de feu et de poudres colorées des habitants à leur deite de prédilection. En cette période de l'année, durant tout le premier mois de la mousson, la rue résonne aux premières heures de l'aube de chants hindous à la gloire de la déesse mère, de Lakshmi ou de Shiva qui apportent la pluie salvatrice, faisant ainsi écho au quotidien appel à la prière de la mosquée toute proche. Des dizaines de petites échopes offrent leurs devantures noircies et leur marchandise cent fois identique aux habitants de cette rue modeste de Chennai. Les maisons y sont faites de materiaux solides, quelques arbres offrent meme un peu d'ombre si rare dans cette ville. Meme si ici aussi les ordures jonchent les bas cotés, si plusieurs familles s'entassent dans quelques mètres carrés, la misère est moins palpable que dans la majorité des quartiers du nord ouest de Chennai. Indépendemment de leur milieu et de leurs revenus, les femmes y sont constamment soignées et coquettes, et des grappes d'enfants en uniforme à carreaux bleus débordants d'énergie et de sourire rentrent de l'école l'après-midi venu, témoignant du taux élevé de scolarisation de cette partie de Perambur.


Les origines du Centre d'accueil

C'est dans ce cadre relativement épargné par la misère des quartiers dans lesquels elle concentre habituellement ses actions que l'ONG Jeeva Jyothi a fondé en avril 2000 le foyer Ananda Ilam pour enfants abandonnés, issus de familles éclatées ou vivant dans des conditions trop précaires pour pouvoir leur assurer un développement acceptable. Vingt-cinq garcons de 6 à 15 ans vivent donc dans ce batiment offert par l'association de charité allemande Miserio et restauré par les soins de l'ONG. Si la grande majorité d'entre eux est issue de familles chrétiennes, un Hindou et deux Musulmans vivent également ici, la ligne de l'association étant resolument non-confessionnelle. Sa tolérance religieuse va d'ailleurs de pair avec une lutte acharnée contre l'enrolement des enfants par les sectes chrétiennes qui recrutent abondamment dans les environs.
Les histoires de ces enfants se recoupent toutes : familles éclatées, décès ou abandon d'un des parents, remariage du père et mauvais traitements perpetrés par la belle-mère refusant obstinément de s'occuper des enfants du premier lit, incapacité du parent seul à faire face aux besoins élementaires de l'enfant, parfois meme sévices physiques et sexuels… C'est bien souvent ce parent seul qui porte l'enfant à Jeeva Jyothi. Certains viennent lui rendre visite occasionnellement, d'autres disparaissent sans plus laisser de trace. L'ONG a également connaissance des cas critiques par l'intermédiaire de ses membres sur le terrain, d'autres foyers, de voisins ou de proches de la famille. Les travailleurs sociaux se rendent alors sur les lieux pour parler à l'enfant, aux parents et aux proches. La selection est trés difficile car seuls les cas les plus délicats peuvent etre pris en charge ici, et l'association dut refuser bien des enfants dont les parents souhaitaient voir l'ONG prendre la garde pour plus de commodité (dans le cadre d'un remariage, en particulier) ou pour leur assurer un avenir meilleur.


La vie au centre

Après des situations si difficiles où mauvais traitement et délaissement se conjuguèrent pour rendre l'enfant sauvage et d'une méfiance infinie envers le monde des adultes, les enfants réapprennent ici les fondements de vie en collectivité que leur famille n'a pu su ou voulu leur inculquer.
La discipline est stricte : lever à 5h30, toilette jusqu'à 6h, méditation et exercice jusqu'à 6h30 pour leur apprendre à controler leurs colères et impulsions, nettoyage de la salle de vie où ils dorment, jouent, mangent et étudient jusqu'à 7h et enfin, un petit dejeuner bien merité à 8h après lequel tous se rendent à l'ecole jusqu'a 16h. Les enfants sont répartis dans quatre écoles publiques ou privées de Perambur, Jeeva Jyothi prenant en charge les frais d'inscription et l'achat des uniformes, livres, cahiers et fournitures. L'ecole est une expérience nouvelle et l'objet de bien des attentes pour ces enfants à qui la pauvreté et la précarité avaient clos les portes de l'enseignement, seuls deux d'entre eux y ayant eu accès avant leur arrivée à Jeeva Jyothi. Leur assiduité aux cours et l'étude quotidienne sont d'ailleurs les conditions sine qua non de leur maintien dans le centre. Ils sont ainsi astreints à l'etude de 18h a 19h30 chaque jour, les plus grands devant également réviser après le diner. Aucun ne se plaint de cette cadence inflexible et, étrangement, si beaucoup ont des difficultés à controler des pulsions violentes à l'encontre de leurs camarades dans leur vie quotidienne, tous prennent un plaisir évident à étudier. La discipline mais surtout l'épanouissement par l'étude ont donc fait montre de leurs vertus chez ces enfants (les plus jeunes, Gobi, Dilip et Ganesh n'ont guère plus de 6 ans) qui gèrent seuls le nettoyage de leurs vetements, vaisselle et lieu de vie sous la supervision de 'uncle' Pandi qui assure, seul, de jour comme de nuit, leur encadrement. Tous sont trés gais et prennent le temps du jeu par lequel les éducateurs compensent certains retards dus a leur environnement familial. Ils ne disposent que du samedi pour sortir mais cela prend toujours l'aspect d'une fete durant laquelle ils peuvent donner libre cours à leur unanime passion : le criquet !

Si la discipline demeure austère et les conditions de vie spartiates, le foyer a pu acquérir depuis sa création un certain nombre d'équipements et dispose aujourd'hui de trois ou quatre si typiquement indiens Carrum-Boards qui développent de facon étonnante l'adresse et la concentration des enfants, d'un poste de télevision et d'une petite bibliothèque comportant quelques bandes dessinées et des magazines pour enfants. Le foyer fonctionne ainsi avec 25 000 roupies (environ 500 euros) par mois grace a l'action des donateurs les plus fidèles, ses principaux postes de dépense se composant de la nourriture, l'eau et l'électricite ainsi que des visites mensuelles du medecin et de l'achat des médicaments et compléments alimentaires prescrits. 15 a 20% des enfants du foyer souffrent en effet encore de maux physiques au premier rang desquels les séquelles de la malnutrition de leur petite enfance.


Souffrances affectives

Mais le premier mal qui affecte ces enfants est indéniablement affectif ; tous parlent du droit des enfants à etre aimés et du devoir des adultes de prendre soin d'eux. Au delà des mauvais traitements physiques et des vexations psychologiques, ils ont avant tout profondement souffert d'une absence totale d'amour, d'intéret et de soin dont témoigne au quotidien leur attitude particulièrement ambivalente : 30 a 40% d'entre eux ont vécu des experiences physiquement traumatisantes qui transparaissent dans la colère et la violence de leur comportement envers les autres au cours des jeux ou des repas. Mais parallèlement tous sont trés prévenants et attentifs envers les plus jeunes et font montre d'une grande entraide et solidarité. Pour contenir le premier type de comportement et encourager le second, les éducateurs ont amplement recours à la discipline et à la menace de renvoi en cas de non respect des règles. Cependant, c'est surtout par la participation et l'interaction des enfants que sont résolus les problèmes les plus sérieux, le groupe décidant collectivement de la légitimité et de la nature de la punition du fautif. Mais leur meilleure arme pour féderer le groupe demeure ce qui constitue sans doute l'expérience la plus pénible des enfants au sein de Jeeva Jyothi. A leur arrivée, ils doivent se présenter aux autres et partager les raisons de leur arrivée ici, 'accoucher' de leurs souffrances pour pouvoir en faire le deuil. Cette démarche est extremement douloureuse pour l'enfant mais elle est nécessaire à son intégration car elle confère a tous la conscience d'avoir vécu les memes douleurs, donnant ainsi naissance à une naturelle solidarité.


Le chemin qui reste à parcourir

Jeeva Jyothi a donc dors et déjà obtenu au sein de ce foyer de fantastiques résultats qui se mesurent juste en tendant l'oreille du coté de la salle des enfants résonnant tour a tour de cris et de rires ou du silence studieux des heures d'étude. Mais de nombreux projets animent encore l'ONG sur la question de l'accueil des enfants ; elle aspire ainsi à ce que les profits degagés par son unité de fabrication de papier recyclé permettent de financer intégralement le fonctionnement d'Ananda Ilam et de prevenir ainsi les aléas pouvant affecter la génerosité des donateurs. Elle reve egalement, à terme, d'ouvrir un foyer pour les petites filles, sans doute plus exposées encore aux dangers de la rue, au travail des enfants, aux abus ou aux traffics. Cependant un grand défi les attend dès à présent, à l'heure où certains des enfants atteignent la fin de leur scolarité : Jeeva Jyothi se doit de leur assurer un avenir valable afin qu'ils ne retombent pas dans la précarité materielle et affective à laquelle ils se sont soustraits ces trois dernières années. L'ONG ne dispose néanmoins pas des ressources nécessaires pour leur permettre d'entrer dans l'enseignement superieur et doit, à regret pour les plus doués de ces enfants, valoriser des formations techniques leur permettant d'exercer rapidement un emploi. Ceci est la triste realité d'une Inde rongée par la corruption, dont la Constitution et la loi offrent aux enfants les plus pauvres le droit à l'éducation mais dont les aides, réduites un peu plus chaque jour au nom des impératifs de rigueur économique imposés par le FMI, n'arriveront jamais à ceux qui les méritent et les désirent le plus ardemment.