Les campagnes de sensibilisation publique et les actions de lobbying

 

Parce qu'elle est convaincue qu'on ne peut lutter efficacement contre toutes les formes d'oppression de l'enfance qu'en impliquant la société dans son ensemble, Jeeva Jyothi a mis en place depuis sa création de vastes campagnes de sensibilisation du public et des autorités indiennes. De fait, elle maintient que l'aide constante des ONG ne suffira pas à résoudre la question du travail des enfants ou du travail par contrat d'endettement, à prévenir le fait que certains vivent et travaillent dans la rue ou à assurer l'effectivité du respect des droits de l'enfant. Car c'est par un changement des mentalités et par la participation de l'ensemble de la société civile que l'Inde trouvera une solution aux souffrances de ses enfants. Mais aussi par la mise en place d'un réel volontarisme politique en lieu et place de la corruption qui capte les fonds destinés à la mise en oeuvres des programmes gouvernementaux.

Jeeva Jyothi organise donc périodiquement de vastes rassemblements à proximité des locaux des instances étatiques ou dans les centres névralgiques de la ville pour s'assurer une visibilité maximale auprès de la population de Chennai et de ses administrateurs. Enfants et travailleurs sociaux y manifestent, portent des banderoles et clament des slogans, parfois même montent des tentes pour accueillir les curieux et les sensibiliser à leur cause. L'ONG organise des discours et des échanges au cours desquels elle ne manque jamais d'inviter un certain nombre d'officiels ainsi contraints de faire face aux problèmes qu'ils éludent d'habitude si légèrement. C'est la participation des enfants qui est ici très symbolique car eux-mêmes se mobilisent pour leurs droits et ceux de leurs pairs, indépendamment d'une attente passive de l'aide des ONG. Ils apprennent ainsi leurs droits de citoyens et la légitimité de leurs revendications. Pour eux, ces manifestations prennent souvent des airs de fête car Jeeva Jyothi les couple avec des scènes de rue à vertu éducative ou des chants.

Cependant, en dépit de l'importance de ces manifestations dans l'éveil des consciences, l'association ne peut se limiter à ce genre d'action pour faire valoir les droits de l'enfant. Elle se doit également d'agir auprès des plus hautes instances étatiques et internationales par une action de lobbying ininterrompu. Elle fait ainsi pression auprès des dirigeants politiques pour qu'ils assurent l'application des textes de loi et luttent contre une corruption dont ils sont généralement les principaux bénéficiaires. Elle rencontre des parlementaires pour les sensibiliser aux problèmes du travail, du trafic et de l'esclavage des enfants, pour leur fournir les preuves, les statistiques, les documents qui leur prouveront l'urgence de la situation. Elle se joint à d'autres ONG aux portes du Parlement pour la grande manifestation annuelle contre le travail des enfants. Toutes se battent pour que soit mise sur le devant de la scène la question de l'enfance, constamment éludée depuis l'indépendance car les enfants ne font pas partie du corps électoral. Pour que l'on passe d'une logique de pitié et de charité à une réflexion en termes de droits et de devoirs.

Jeeva Jyothi, si elle agit seule dans l'organisation de certaines manifestations au cœur de Chennai, s'appuie donc sur un vaste réseau d'ONG indiennes et internationales pour la majeure partie de ses actions de lobbying. Ce système réticulaire lui permet de fait d'agir massivement et de bénéficier d'une couverture médiatique, et ce en dépit des difficultés de collaboration dues aux différences idéologiques entre les ONG. Jeeva Jyothi entre ainsi parfois en conflit avec des ONG dont elle déplore le prosélytisme (l'immense majorité des ONG indiennes sont de fait confessionnelles) ou le syllabus empreint de pitié et de charité. Elle expose sans relâche sa ligne directrice : laïque, humaniste, promouvant les droits de l'Enfant (et non une quelconque pitié à leur encontre) et le développement durable par l'action de la communauté (contrastant avec une aide constamment renouvelée ne s'attaquant pas aux sources du mal). Elle espère ainsi sensibiliser certaines associations a une autre approche, plus moderne et respectueuse de la dignité humaine car dénuée de toute condescendance.

A ce titre, elle prend part chaque année à cinq forums internationaux auxquels elle invite certains de ses enfants pour qu'ils parlent de leur vécu et de leurs droits ; ces forums sont intitulés :
-
Street and Working Children,
- Campaign Against Child Labour,
- Campaign Against Child Trafficking,
- Elimination of the Bonded Labour System (dont Susai Raj, le directeur de Jeeva Jyothi, assure la vice-presidence)
- et Child Workers in Asia (forum pour lequel Jeeva Jyothi représente l'Inde du sud).

Ces rencontres sont l'occasion pour les ONG de partager leurs expériences et leurs difficultés et de faire plus efficacement pression auprès des gouvernements nationaux et des instances internationales. Elles permettent également aux ONG indiennes de se rencontrer et de prévoir ensembles des actions à l'échelle de leur Etat. Elles sont enfin un bon moyen de formation pour les ONG les plus jeunes ou souhaitant développer des actions et méthodes nouvelles.

Plus discrètement, enfin, Jeeva Jyothi fait pression au quotidien sur les propriétaires des usines de riz de Chennai, leur rappelant la loi sur l'interdiction du travail par contrat d'endettement et du travail des enfants. Elle les pousse ainsi parfois a augmenter le prix auquel ils achètent le sac de riz produit par leurs employés afin que ceux-ci aient accès à des conditions décentes de vie et puissent envoyer leurs enfants à l'école. Cependant ce type de lobbying doit rester très limité et éviter à tout prix la confrontation directe. De fait ce genre d'action auprès des producteurs sort des attributions légales des ONG en Inde, se rattachant plutôt au syndicalisme ou au domaine judiciaire. Jeeva Jyothi doit donc rester discrète et ménager les susceptibilités de ceux-la même qui défient la loi pour ne pas encourir de sanctions gouvernementales.

Si l'essentiel de l'action de Jeeva Jyothi s'opère donc sur le terrain, pour améliorer directement les conditions de vie, d'éducation et de santé des enfants de ses quartiers, l'ONG a parallèlement prouvé qu'elle était capable de donner un écho national et international à ses actions en lançant des campagnes de sensibilisation d'envergure et en se constituant groupe de pression à l'échelle de son Etat. Elle nous donne ainsi une preuve supplémentaire de sa crédibilité et de son engagement dans la lutte contre l'exploitation et la souffrance de ses enfants.